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Le retour du Roi -
Oberon
me souriait. Intimidée mais curieuse, j'avançais vers lui. Comme je l'avais
supposé, et contrairement à ce qui nous avait été affirmé, la mort du
Roi du Chaos n'avait pas entraîné la sienne. Mais il venait de tuer Yarick
! Et assis sur son cercueil, il me fixait d'un air amusé. Je lui rendis
son sourire sans trop savoir pourquoi.
"_ Qu'est-ce qui vous amuse Lycia ?
_ J'essayais justement de deviner ce qui
vous distrayait tant, rétorquai-je embarrassée
…Nouvelle expression amusée…
_ Vous avez beaucoup changé depuis la dernière
fois, reprit-il"
Pardon ? Comment ? Quelle dernière fois ? Il ne parlait tout de même pas
des Cours du Chaos ! Non, par quel moyen aurait-il pu savoir ? Mes relations
avec le reste de la famille ne se trouvaient déjà pas au mieux, mais si
en plus le bruit se répandait que….La simple idée que Flora l'apprenne
me hérissait, mais curieusement si lui savait… c'était différent. Ma bonne
conscience arguait, pour expliquer ce sentiment, du fait qu'ainsi je n'aurais
pas à expliquer la raison du sang d'Holwin. Mais une petite voix me soufflait
à l'oreille que je me leurrais. La vérité était que je ne refuserais pas
de me glisser à nouveau entre ses draps. Bien mais faites qu'au moins
il ne le lise pas dans mes yeux !
"_ Et bien, j'ose penser que le changement ne
vous déçoit pas et que la surprise est agréable, commentai-je comme, gênée
par ses regards, je prenais place à ses côtés.
_ Oui, bien sûr, et vous êtes maintenant
trop grande pour vous asseoir sur les genoux de Papy !"
Mais à la fin, savait-il oui ou non ? S'il savait, il savourait certainement
toutes ces petites réflexions qui chaque fois poussaient plus loin le
doute sans jamais l'infirmer ni le confirmer. J'avais le sentiment de
jouer avec le feu en poursuivant une telle discussion.
_ Depuis longtemps déjà, hasardai-je
A quelques pas, debout à côté de Sand, Robin parlait seul, l'air triste.
Qui pouvait bien lui apprendre de si mauvaises nouvelles ?
_ Curieuse, hein ? brisa-t-il mes pensées
_ Oui, admis-je " laissant mes pensées suivre
un cours nouveau et déroutant.
Pourquoi ne serait-ce pas lui le second Dworkin rencontré au bord du Logrus
? Les faits plaidaient en faveur de sa culpabilité : métamorphe, capable
de souhaiter un Ambrien au sang plus pur (pourquoi pas pour effacer une
Marelle ?), et surtout se connaissant suffisamment pour être certain que
je ne lui échapperais pas !
Au sortir de mes songeries, je me rendis compte trop tard qu'un silence
pesant s'était installé. Lourde, cette absence totale de paroles l'était
peut-être, en partie, par le sourire indéchiffrable de mon grand-père,
l'air toujours aussi satisfait de lui-même. Comment pouvait-il oublier
qu'il était assis sur le cercueil de Yarick, qu'il avait tué sans aucune
forme de procès ? Et pourquoi, pourquoi cela me gênait-il autant ? Je
n'avais eu de cesse de me défendre quand Llewella et Oberon avaient évoqué
les liens qui nous unissaient, Yarick et moi. Il me fallait bien reconnaître
que si j'avais observé ce comportement chez toute autre que moi, je l'aurais
trouvé éloquent ! Enfin, au moins, maintenant je savais ce qui me poussait
à faire ainsi confiance à Yarick !
"_ Pourquoi avoir envoyé Yarick dans le Joyau
? questionnai-je
_ Je l'ai placé là où il sera le plus utile
et l'emploie à ce qu'il sait le mieux faire. De plus j'exauce un de ses
vœux en quelque sorte : lui qui souhaitait tant retrouver son père !"
Evidemment songeai-je à part moi, vu ainsi. Peut-être était-ce là ce qui
m'exaspérait le plus chez mes aînés : toujours un motif pour justifier
les pires actes…d'un certain point de vue bien sûr. Mais n'étant pas convaincue
de l'existence de l'objectivité, je ne pouvais qu'admettre, même si certaines
de leurs explications, parfois…Je choisis donc de passer outre et de satisfaire
ma curiosité :
_ Que comptez-vous faire maintenant ?
_ Reprendre les rennes, et j'espère que
vous n'essayerez pas de me tuer cette fois ci."
Reprendre le pouvoir, voilà une sage décision, conforme à ce que j'espérais.
Mais que voulait-il signifier par essayer de le tuer encore une fois ?
Il me semblait que notre dernière rencontre avait été plutôt "amicale"
! Bien sûr, entre temps il y avait eu cette petite poursuite dans l'Abysse,
mais une petite voix me chuchotait qu'il ne parlait pas de ça.
_ Cette fois-ci ?
_ Oui."
Qui avais-je tenté d'assassiner ? Non, personne vraiment. C'était contraire
à toutes mes idées. Jamais je n'aurais pu souhaiter une telle chose. Il
n'y avait eu qu'un accident, au tout début, un habitant d'Ombre un peu
pointilleux, quand j'étais bien plus arrogante. Cette
Ombre c'était celle de la caverne de Melekin. NON ?
Il n'avait tout de même pas été, pendant toutes ces années, gardien des
travaux de son frère pour mieux les surveiller ! Par la Licorne, voilà
une éventualité aux probabilités non négligeables, mais qu'impliquait-elle
?
Comme
Sand approchait, Oberon se leva, m'expliquant qu'il devait maintenant
s'occuper de celui qu'il venait de tuer. Au lieu d'écouter la suite de
son baratin, je m'interrogeais : parlait-il de Yarick ou Melekin ? Faisait-il
exprès de me laisser dans l'incertitude à ce sujet ? Oui, bien sûr ! Et
si je voulais plus de détails, je ferais mieux d'écouter !
"_ C'est impossible, c'est bien trop dur, la plupart
ne répondent pas ! se plaignait Sand devant l'échec de ses tentatives
de contact auprès du reste de la famille.
_ Ce tableau de famille provient de la collection
de Dworkin, il devrait je pense régler le problème ", trancha Oberon en
tendant un Atout à sa fille.
Je ne pus voir que le dos de la carte qu'il tendit à Sand. Mais je m'y
attendais, et ne cherchais pas à voir ce qu'il représentait. A la vérité,
j'étais bien plus intriguée par ce qu'avait sous-entendu Oberon de sa
relation avec Dworkin : ils semblaient "travailler ensemble" depuis un
certain temps. Dans ce contexte, je ne pouvais m'empêcher de douter :
ce que j'avais fait jusqu'alors pour Dworkin, n'était-ce pas sur la suggestion
d'Oberon ? En apparence c'était effectivement lui qui tirait les ficelles,
et depuis un certain temps peut-être ! Car maintenant je voyais toute
cette histoire sous un autre angle : comment se
faisait-il qu'Eric, Flora et Random n'aient pas senti les travaux de Melekin
et la présence d'Oberon dans cette Ombre ? J'étais maintenant convaincue
que c'était lui qui l'avait placée sur notre chemin. Il devait savoir
que ses enfants ne daigneraient pas s'arrêter pour si peu, ce n'était
après tout qu'un jeu de gamin selon eux ! Et donc là-bas, j'avais découvert
des ébauches de Marelles ainsi que des portraits d'Oberon et Dworkin,
plus jeunes que sur les tableaux d'Ambre. Et peu après, à qui avais-je
raconté cela : Dworkin ! Un
peu plus tard, il m'avait sauvé la vie au bord de la Marelle de Père.
Ou plutôt, quelqu'un qui avait l'apparence de Dworkin, (pourquoi pas Oberon
?). Car pour la première fois, il tenait un discours incohérent, mélangeant
tout et n'importe quoi et nous appelant ses petits enfants ! Et cette
fois-là, il prononça le nom de Melekin. Que plus tard, alors qu'il semblait
avoir recouvré la raison, je prononçais à son grand étonnement !
Donc Oberon, dans l'ombre, avait surveillé son frère et tout fait pour
prévenir le reste de la famille du danger potentiel. Mais dans le même
temps, il aidait Brand à survivre dans l'Abysse et tentait de récupérer
le Joyau en prévision probablement du décès de Swaywill. Mais l'alliance
avec Brand, quelles pouvaient en être les raisons ? J'avais du mal à démêler
cet imbroglio d'alliances et d'oppositions. D'autant plus que j'étais
persuadée qu'il me manquait une clef essentielle pour comprendre : la
relation qu'entretenaient Random et Oberon.
Ce
dernier traversait maintenant le Second Voile, enveloppé jusqu'aux épaules
d'un manteau de flammes bleues et froides. Sand à mes côtés semblait elle
aussi absorbée par le spectacle. Il aurait été impoli de disparaître sans
la saluer, aussi avant de retourner m'occuper d'Holwin, je lui proposais
mon aide.
" Puis-je être utile ?
_ Non, je te remercie, tout comme je vous
suis reconnaissante, à toi ainsi qu'à Yarick, d'avoir sauvé la vie de
Llewella à Rebma."
_ Cela me semblait normal, je n'aurais laissé
personne mourir sans tenter au moins de l'aider.
_ Mais pourtant, elle vous avait gênés,
s'étonna-t-elle, ou plutôt elle n'avait pas toujours soutenu le même camp
que vous.
_ Je ne considère pas que le manque d'affinités
soit une raison suffisante pour assassiner quelqu'un, lâchai-je tout en
réalisant aussitôt ma boulette. Peut-être comprenait-elle : moi au moins,
je n'assassine pas sans raison, contrairement à mes aînés, dont vous faites
partis ! Mais elle ne semblait pas contrariée et reprit :
_ Pour Yarick, ne t'inquiète pas. Tout se
passera bien, et puis il a appris beaucoup de choses avant de mourir."
Pour Sand il s'agissait probablement d'un au revoir poli, car elle disparut,
me laissant en compagnie de Robin, debout à quelques mètres derrière moi.
Mes pensées aussitôt les "nouveautés" envolées s'échappèrent alors comme
toujours vers Holwin. Malgré la présence rassurante de Napoléon
à son chevet, je n'étais pas entièrement tranquille. Je proposais donc
à Robin de retourner en Ambre avec moi. S'il prenait l'envie à quiconque
de jouer à "effaçons la Marelle !", son aide serait la bienvenue. Je feuilletai
mon paquet de carte et en tirai celle de ma chambre. Qui maintenant espionnerait
nos contact d'Atouts ?
" J'arrive !" cria une voix familière, à l'instant
même où je me posais mentalement la question. Etait-ce une réponse ou
une simple coïncidence ? Seul Caine le savait. Debout, à quelques dizaines
de centimètres de la Marelle Primale, il nous observait de son habituel
air goguenard. Sans se départir de son rictus, il s'avança jusqu'au cercueil
de Yarick, le scella et le chargea sur son dos. Je l'observais sans pouvoir
prononcer un mot : il venait soudain de me rappeler que Yarick ne respirait
plus. Ce fut Robin qui demanda ce qu'il comptait faire.
" Je règle ma dette, à moins que Yarick ne change
encore d'avis." Quelle dette ? Etait-ce
toujours pour lui avoir rendu son corps ? Je supposais
que oui.
" Yarick a choisi le camp du vainqueur, et si
vous voulez sauver votre peau, vous devriez en faire autant."
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