- Chasse à courre - A travers les murmures et les éclats de voix, je tâchais de réunir les seules informations clairement énoncées : des statues, offertes par les Cours du Chaos à la suite de la guerre de la Marelle, auraient disparu. La Marelle d'Ambre, que j'avais traversée en compagnie de Marelsa quelques heures plus tôt , était endommagée. Elle ressemblait maintenant, selon Random, à une Marelle brisée. J'étais curieuse de le vérifier. Beaucoup d'autres sujets furent abordés, plus ou moins proches, tous liés apparemment à des rancœurs passées, mais je ne pouvais en saisir l'essence. Depuis un bon quart d'heure maintenant, le Roi n'était plus le centre de l'attention, certains s'étaient levés, paraissant obéir à un rite subtil, hérité de réunions familiales similaires. Je devinais que chaque mouvement était porteur de signification aux yeux des autres, mais j'ignorais leurs codes. Je supposais que tous pourtant savaient l'interpréter, et les observai, tâchant de comprendre. Le Roi Random quant à lui paraissait concentré, il prononça quelques mots à mi-voix puis réclama le silence : L'absence de Fiona était motivée par sa recherche des statues, qu'elle venait de retrouver. Elle serait donc notre relais en Ambre pendant que nous nous lancerions à leur poursuite. Personne n'avait mentionné le nombre exact de sculptures manquantes jusqu'alors, mais à en juger par le nombre de personnes présentes, je notai qu'il devait être considérable ! Comme
tous se dirigeaient d'un pas plus ou moins pressé vers la sortie, je me
levai et me retrouvai rapidement dans un couloir, assez perdue. Alors
supposai-je, il allait falloir cavaler après de drôles de cailloux manifestement
animés, enfin…je tentais de me représenter la chose sous cet angle. En
vérité, j'étais plutôt inquiète. Pour la première fois depuis mon arrivée
en Ambre, l'occasion de servir le Roi se présentait, mais il ne s'agissait
pas d'une rencontre diplomatique ou d'une ambassade. Une telle mission
n'aurait pas présenté un bien grand défi et j'aurais su m'en acquitter
sans difficulté. Mais j'avais pu constater dans l'après-midi que mes qualités
de "combattante", bien que remarquables sur Terre, n'étaient rien en comparaison
de celles des membres de "ma famille". Je souhaitais plus que tout réussir
dans cette entreprise, et malheureusement je doutais. Mes pensées et mes
pas me conduisirent jusqu'à ma chambre. J'ignorais
ce que j'étais censée faire précisément, aussi, je tirai de mon paquet
l'Atout de Fiona. Si elle coordonnait toutes les recherches, ce me semblait
être la démarche la plus logique. Je m'attendais donc presque à une sorte
d'embouteillage, à une quelconque attente, pourtant, le contact s'établit
immédiatement. Fiona m'indiqua de me rendre aux écuries pour y prendre
un cheval et de m'enfoncer ensuite en Arden. Quand je serai suffisamment
loin, elle me fournirait d'autres indications. Je ne discutai pas davantage
et suivai ses consignes. En
descendant à travers la cité, éclairée par la seule lueur de la lune presque
pleine, je réalisai soudain ce qui signifiaient les paroles de Fiona :
aller suffisamment loin en Arden…ces mots faisaient écho aux paroles de
l'homme en noir sur le voyage en Ombre à partir d'Ambre. Ma première expérience
était donc pour ce soir ! Inattendue et tellement excitant ! Je me remémorais
mes mésaventures avec la Marelle brisée, les discours de l'homme en noir,
mes deux traversées de la Marelle, et je souriais. Les murmures de la
forêt endormie se mêlaient au trot de ma monture sur l'herbe humide, progressivement,
je forçais l'allure. La perspective d'enfin voyager en Ombre et l'excitation
de la chevauchée se confondaient, j'étais presque essoufflée lorsque le
frémissement du contact d'Atout effleura mon esprit. Fiona m'expliqua
comment elle comptait agir, mais aucun de ses mots n'auraient pu me préparer
à ce qu'elle fit ensuite. Elle imprima littéralement dans mon cerveau
l'image de la créature que je devais débusquer. Et bien que Fiona fut
partie depuis plusieurs minutes, l'image du démon (car c'était bien ce
que je voyais) restait toujours aussi présente. J'étais presque plus effrayée
par ce qu'elle avait fait que par le combat qui m'attendait. Finalement,
tâchant d'oublier comme je me sentais petite fourmi face à Fiona, je me
concentrai sur l'image de la créature et commençai à manipuler Ombre.
Au
prix de violents maux de têtes, je perçus les premières manifestations
de ma réussite après un bon quart d'heure d'effort. Je multipliai ensuite
les manipulations mentales, focalisée sur la seule image que je conservais
à l'esprit : cette créature pierreuse aux griffes acérées. Chaque modification
s'effectuait plus aisément que la précédente, et progressivement je me
libérais de liens dont j'ignorais la nature. Ce pouvait être mon ignorance
de la Marelle ou la proximité de la Terre Réelle, peu m'importait à cet
instant où j'éprouvais à nouveau ce sentiment de plénitude. Mais, l'enchantement
se brisa soudainement quand je sus que j'avais réussi. Le voyage avait
été trop court et pourtant l'aube étendait déjà ses premières raies de
lumière sur l'horizon. Je descendis de cheval à regret et dégainai mon
épée. Je rouvrais prudemment les yeux, priant pour que le coup ait été mortel. Je tournais lentement mon regard vers l'endroit où se trouvait la créature et n'y découvris que mon épée : Grayswandir. Tendue, j'écoutais de longues minutes les bruits émis par la forêt. Tout semblait normal. Si le démon vivait toujours, il était loin maintenant. Avec les soins appropriés, ma blessure à la cuisse guérirait rapidement, tout le reste était plus spectaculaire que réellement douloureux, mais je n'avais pas connu un état si déplorable depuis longtemps ! Les vieux automatismes ne se perdent pas, et j'usai d'un bout de tissu qui avait anciennement appartenu à mon pantalon pour ralentir l'hémorragie. Je tirai ensuite de mes cartes l'Atout de Fiona. Elle savait que j'avais accompli ma mission, mais n'avait pas le temps de s'occuper de moi…Bien, je me débrouillerai donc seule ! Je me concentrai sur le tapis moelleux et accueillant devant l'âtre, j'imaginai les bienfaits d'un bain chaud après cette longue nuit et je me trouvai dans ma chambre en Ambre. Je posai Atouts et épée sur un guéridon puis me dirigeai vers la salle de bain. Je
m'éveillai sous l'emprise de la désagréable hébétude d'un lendemain de
cuite. A l'instant où je posais le pied gauche au sol, je me rappelai
pourquoi : j'étais percluse de courbatures, une jambe entaillée et la
mâchoire douloureuse, et je croyais me souvenir avoir avalé bon nombre
de ces comprimés contre la douleur trouvés dans la salle de bain. Je m'efforçais
d'émerger et après une brève douche froide, les choses paraissaient un
peu plus claires. L'après-midi débutait à peine quand je fermai la porte
de ma chambre pour partir en quête d'un copieux repas. Je trouvai Robin
à table. Robin
avait quitté la pièce depuis quelques minutes maintenant, bafouillant
qu'il était attendu. Absorbée par les réflexions qu'il avait suscitées
et surtout par mon déjeuner, je n'avais posé aucune question. J'aurais
dû. J'ignorais s'il me fallait trouver la Reine afin de lui faire un compte
rendu de ma nuit, ou bien s'il me fallait attendre une convocation. Et
c'était peut-être cela justement le contact d'Atout qui s'annonçait. J'ouvrai
mon esprit et l'image de Random s'y faufila : il souhaitait que je lui
apporte le Joyau du Jugement, à l'ouest du palais, sur les falaises. Dans
le même temps, Vialle et Robin devraient se tenir dans la salle de la
Marelle. Je me retenais de m'enquérir du résultat escompté : je n'étais
personne pour me permettre une telle question. Toutefois, que le Roi ait
porté son choix sur moi me laissait perplexe. Je me dirigeais donc vers
les appartements de la Reine, retournant la question sans pouvoir y trouver
une réponse satisfaisante. Je
tâchais de ne pas penser à l'importance de la pierre entre mes seins.
Mais j'éprouvais l'impression terrible que toutes les personnes que je
croisais, des gardes aux domestiques, devinaient ce que je transportais.
Le ridicule de cette idée me calma un peu, et je me trouvais soudain préoccupée
par une autre pensée : la veille au soir, j'avais quitté Ambre à cheval
et étais revenue par Atout…Le maître d'écurie ne me ferait peut-être pas
bon accueil. J'espérais que l'incident ne se produisait pas pour la première
fois. Aucune question ne me fut posée, et j'en conclus que nombre de magnifiques
montures s'étaient ainsi égarées en Ombre. |
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