- Que jeunesse se passe - Quand je rouvrais les yeux, les souvenirs de mes derniers instants de conscience affluèrent rapidement. La salle obscure, les hennissements étranges, et maintenant, des cadavres. Robin et Yarick eux, l'arme au poing, soufflaient encore bruyamment sous le coup de l'effort fourni. Je me relevai pour constater avec désolation que le sang constellait maintenant les tracés au mur. A terre, cinq des hommes gisaient, d'une pâleur surnaturelle, le teint presque aussi blanc que les cadavres des chevaux…non, je m'approchais…non, pas des chevaux, des licornes…des licornes passées par le fil de l'épée ! Je tournais mon regard vers Yarick et Robin, en quête d'explication. Ce dernier, un genou à terre, versait des paroles de réconfort aux oreilles des deux survivants tandis que Yarick pansait leurs blessures. A en juger par l'état de la pièce, nous avions été attaqués, aussi invraisemblable que cela semble, par ces licornes. Pourquoi la créature mythique, symbole du royaume, nous avait-elle menacés ? Comment surtout l'animal légendaire se trouvait-il ici, dans cette Ombre ? Pourquoi étaient-elles plusieurs ? Evidemment, aussi bien Yarick que Robin l'ignoraient. Sylvania et Ebroon seuls nous permettraient peut-être d'ébaucher des réponses. A condition qu'ils vivent. Malheureusement la femme semblait près de trépasser. Impossible de lui prodiguer ici les soins adaptés, il nous fallait trouver rapidement une solution. Je songeais à utiliser mon Atout de l'Ombre Terre, mais renâclai à cette idée. Ebranler maintenant leur conception de l'univers en les confrontant à une civilisation totalement différente était certainement plus qu'ils n'étaient en mesure de supporter. Il fallait de plus un lieu où ils seraient en sécurité, à l'abri de toute curiosité. Je renonçai donc à évoquer cette possibilité à voix haute. Robin proposa finalement la meilleure des solutions en tirant d'un étui l'Atout de son Ombre. Comme
je m'y étais attendue, l'endroit ressemblait singulièrement à Ambre, et
par voie de conséquence à l'Ombre que nous venions de quitter. Nous installâmes
sur un lit rustique la femme, évanouie peu avant notre départ ; Ebroon
quant à lui se laissa tomber à son chevet. L'expression de son visage
trahissait ses efforts pour masquer son étonnement devant ce brusque changement
de lieu. Robin étant parti en quête du matériel médical nécessaire, je
tentais maladroitement d'expliquer à l'homme ce qui venait de se produire.
Rougissant, il m'interrompit : le Maître et sa famille étant capables
d'actes au delà de leur entendement, mieux valait pour lui ne pas chercher
à percer ces mystères. Yarick
et moi attendions devant un verre le retour de Robin parti donner quelques
directives. Plutôt protecteur ce dernier…De son Ombre, nous n'aurions
vu que cette bâtisse ! Mais nous avions peut-être déjà perdu assez de
temps ainsi pour ne pas chercher à en savoir plus. Il nous fallait maintenant
rattraper Eric, Random et Flora qui se demandaient probablement ce qui
nous retenait tant. Aucune trace, aucune. Aussi loin que nous progressions, nous ne parvenions pas à retrouver la piste de Random. Combien de temps avions-nous donc pu perdre ? Impossible de l'évaluer avec tous ces déplacements ! Et sous peu, nous arriverions probablement…où ?…c'était une autre affaire. Avec de la chance, nous avions emprunté une route détournée et retrouverions le Roi dans les Cours. Nous formions des prières dans ce sens quand nous parvînmes devant deux colonnes immenses dont le sommet disparaissait dans un ciel sombre et nuageux. Nous ralentîmes l'allure des chevaux et franchîmes la porte au pas, intimidés. Le parfum de l'atmosphère, la façon dont la Marelle frémissait dans mon esprit, tout indiquait que nous étions peut-être déjà bien plus loin que nous le pensions. Fendant la brume, un homme semblait avancer dans notre direction. Ses cheveux, hirsutes au premier abord, se disciplinaient comme il marchait. Ses vêtements subissaient également de curieuses modifications. Pourtant, quand il s'arrêta devant nos montures, c'est un domestique d'une correction irréprochable qui nous souhaita la bienvenue : " Vous entrez dans les Passes de Sawall. Si vous voulez bien démonter, et me suivre, mon maître va vous recevoir." Peut-être
sous le coup de l'étonnement, plus sûrement à cause de l'aura impressionnante
des lieux, nous obtempérâmes. A peine avions nous mis pied à terre que,
surgi du néant, un autre homme, vêtu tel un garçon d'écurie, saisit les
brides de nos montures et s'éloigna avec dans le brouillard qui flottait
de part et d'autre de l'allée. Il ne me vint pas un instant l'idée de
protester. L'orchestration savante de ces curieuses apparitions me laissait
ébahie. Je rajustai ma tenue, regrettant de ne pas disposer d'un miroir
à défaut de la possibilité de me changer. Nous pénétrions maintenant dans
un long corridor au dallage noir et blanc. A intervalles réguliers, des
draperies de velours mauves masquaient probablement à nos regards portes
et fenêtres. L'effet de perspective était saisissant. L'ensemble créait
une atmosphère si particulière que j'assourdissais malgré moi le claquement
de mes bottes sur les dalles de marbre. Le valet s'arrêta finalement devant
l'une des tentures, pourtant semblable aux autres. Je ne le vis pas actionner
le moindre mécanisme, pourtant, les deux pans de tissus s'écartèrent et
à l'invitation de notre guide, nous nous engouffrâmes dans le passage
ainsi dévoilé. Je
laissai se refermer sur la créature le battant de la porte. Un bref regard
avait suffi à me mettre à l'aise. Cette pièce ne recelait rien d'aussi
déconcertant que les couloirs que nous venions de traverser. Elle en paraissait
presque banale. Mais je me dirigeais pourtant avec plaisir vers la petite
salle d'eau. Depuis près d'une heure maintenant, je m'inquiétais de l'image
que me renverrait le miroir. Et finalement, la vision était plutôt plaisante.
Malgré les traces évidentes sur ma toilette d'un long voyage, un peu d'eau
fraîche suffirait à ranimer mon teint. J'ôtais donc mes vêtements tout
en rassemblant mes idées. Les cours temporels nous avaient joué des tours
: Eric et Random étaient partis depuis longtemps maintenant. Mais Flora
et Neige restaient les hôtes de la maison Sawall. Je souris en réalisant
que je m'interrogeai sur le plaisir que trouvait Flora à rester dans cette
demeure…Je chassai ces images agaçantes et tentai de raisonner. Nous étions
les bienvenus ici, tout comme Neige et Flora. Je trouvais cela curieux.
Nous ne pouvions sans être incorrects départir maintenant, mais la perspective
du dîner à venir m'inquiétait un peu. Nous étions certainement en mesure
d'en apprendre beaucoup à Mandor, et peut-être bien malgré nous. Je jugeais
donc plus prudent de faire le point sur notre situation avec Flora. |
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