|
-
Elna -
Je
descendis rapidement les escaliers. Robin et Elna devaient commencer à
se demander ce que je pouvais bien faire pendant tout ce temps. Debout
devant la cheminée, Robin tenait toujours Holwin endormi dans ses bras.
Ils formaient vraiment un charmant tableau tous les deux, et j'aurais
presque juré voir une expression attendrie sur le visage de mon cousin…
Elna s'était assise dans le canapé et semblait visiblement s'ennuyer ferme.
Comment en vouloir à Robin d'avoir su pour une fois tenir sa langue ?
Comme j'allais m'asseoir à côté de la jeune fille, elle leva les yeux
vers moi. Je ne pouvais malheureusement qu'approuver Yarick, effectivement
elle était charmante, mais cela ne devait pas influencer mon comportement
envers elle. Le moins possible en tout cas.
La meilleure façon d'accéder aux Ombres de la Marelle de Melekin devait
être de manipuler cette Marelle elle-même. Bizarrement, elle n'y avait
pas réussi et espérait que je ferais mieux. Elle me proposa d'utiliser
son esprit pour observer cette Marelle. Je fus relativement surprise qu'elle
me suggère ainsi de pénétrer ses pensées, son projet devait véritablement
lui tenir à cœur : j'acceptais. Elna ferma les yeux et je posais ma main
sur la sienne. Je tentai de ne pas remarquer tout l'univers de réflexions
qui s'ouvrait à moi et me concentrai avec elle. Pendant plusieurs minutes,
je pus sentir sa concentration et observer l'image de la Marelle se dessinant
progressivement, prenant de plus en plus de force pour devenir presque
tangible. J'avais oublié à quel point cet exercice avait été difficile
au commencement. Quand elle eut terminé, j'engageais mon esprit sur le
Tracé : aucune résistance ne vint s'y opposer, j'avançais aisément, trop
facilement peut-être. Je cheminais le long de longues courbes, à une allure
égale, sans rencontrer jamais d'obstacles. Jusqu'à ce jour, cette épreuve
m'avait toujours semblé être une renaissance, comme une recomposition
de tout mon être. Aujourd'hui, je percevais cette Marelle comme quelque
chose de limpide, sans profondeur en comparaison de la Réalité. J'étais
arrivée au centre et me demandais comment une chose aussi simple pouvait
fonctionner. Je dégageai mon esprit de celui d'Elna et me levai. Elle
m'imita, me regarda d'un air interrogateur quand je repris Holwin à Robin
: Il venait avec nous, une excellente lame n'est jamais de trop. Constatant
qu'elle ne me ferait pas revenir sur ma décision, elle hocha la tête en
signe d'assentiment.
Quant à Holwin, j'aurais préféré le laisser ici en sécurité, mais j'avais
besoin de Robin. Malgré toute la bonne volonté d'Elna, un doute subsistait
toujours sur ses intentions réelles (à cause des sentiments de Yarick
? je préférais penser que non), et si Robin nous accompagnait, c'était
plus pour ma sécurité personnelle. Je sentais contre moi le soulèvement
régulier de la respiration de mon fils endormi. Je l'en félicitais intérieurement
car j'ignorais totalement les effets que pourrait produire sur lui une
marche en Ombre s'il ouvrait de grands yeux étonnés devant toutes les
modifications curieuses de son environnement. Les enfants n'aiment habituellement
pas le changement et même si Holwin semblait particulièrement sage et
souriant jusqu'à présent j'aurais préféré lui éviter cela. Malheureusement
les circonstances voulaient qu'il en soit autrement…
Je
manipulais donc la substance d'Ombre. Nous n'avançâmes pas longtemps,
mais autour de nous le décor se transformait à toute allure, plus vite
qu'auparavant me sembla-t-il. J'éludais la question pour en remettre l'étude
à des temps moins troublés.
Je pouvais maintenant sentir la présence d'un passage. Je décidais que
le moment était propice pour effectuer les changements à l'aide de la
Marelle de Melekin. Mais j'eus beau concentrer toute mon attention sur
mes manipulations, rien n'y fit. Impossible de passer de l'autre côté.
Je relâchais mes efforts et me tournais vers Elna. Elle avait l'air déçue,
mais pas trop surprise.
"_ Je pensais que tu avais plus de chances que
moi d'y parvenir. Visiblement, il sera impossible de passer ainsi, mais
je te remercie. Il faudra que je récupère l'anneau de Finndo, c'est maintenant
mon seul espoir.
J'étais navrée de n'avoir rien pu faire pour elle, et encore plus désolée
de ne pas avoir pu étudier cette Marelle : j'étais convaincue depuis longtemps
qu'elle me permettrait d'établir un lien avec les Atouts.
_ Accepteriez-vous de m'aider à récupérer
cette bague ?" s'enquit Elna pleine d'espoir.
Et bien, j'en avais le temps oui, mais pas la volonté. Holwin avait déjà
suffisamment voyagé pour aujourd'hui, et j'estimai que l'exhumation d'un
cadavre n'était pas un spectacle pour lui. Je déclinais donc son offre
et m'apprêtais à retourner sur Iago.
Par
la fenêtre, je constatais que le soleil déclinait sur l'horizon, une bonne
nuit de sommeil serait pour tous la bienvenue. Mais avant, je rêvais d'un
bain bien chaud. Je mis l'eau à couler, allongeais Holwin sur mon lit
et me dévêtais. Je le déshabillais, vérifiais la température du bain et
nous immergeais avec délice dans la baignoire. Je ne saurais dire qui
d'Holwin ou moi, appréciait le plus : il riait aux anges, dévoilant un
sourire qui me fit venir les larmes aux yeux. Je le serrais contre mon
cœur, j'avais déjà failli le perdre une fois et je désirais plus que tout
au monde le voir grandir, ce sourire si apaisant pour moi aux lèvres.
Je plongeais mon regard dans ses deux grands yeux bleus, ils représentaient
l'avenir… un avenir que je lui souhaitais aussi souriant que l'était son
regard en cet instant.
Je sortis Holwin de l'eau, le séchais et l'habillais rapidement, la pièce
étant encore assez fraîche malgré le feu récemment allumé dans la cheminée.
Maintenant allongé sur le lit, redressé sur ses petits bras, il semblait
m'observer alors que je brossais mes cheveux. Ses mains plièrent peu à
peu sous le poids de sa tête et il ne fit pas de nouvelle tentative. Le
marchand de sable était passé. Je le soulevais délicatement, m'allongeais
et le posais sur ma poitrine. Je crus percevoir un soupir d'aise et souriais.
Je posais une main sur son dos et caressais sa tête de l'autre. Son parfum
d'enfant me chatouillait les narines et je ne tardais pas à sombrer. Mes
pensées se firent bientôt songe : Oberon, Karadriel, Yarick, tous trois
dansaient dans mes rêves, formant une ronde agréable et un problème insoluble.
|