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Borel -
"Bien
! m'avait simplement remerciée Dworkin pour le mal de tête qu'il venait
de me procurer. Puisque vous êtes là, vous allez pouvoir nous aider. Alice,
tu iras avec Slug, Bleys, Finndo et Osric rendre visite au Duc Borel.
Il a été intrigué par ton arrivée inopinée sur ses terres et souhaite
te rencontrer. Vous en profiterez pour dérober l'Aiguillier gardé par
sa Maison. Allez vous préparer, Bleys et Osric passeront vous chercher
à tes appartements."
Oui chef ! Cette manie de donner des ordres indiscutables n'était donc
pas venue avec l'âge ! Toutefois, comme lui seul saurait me renvoyer dans
le futur, il était hors de question de discuter les consignes. Slug me
regardait, l'air hébété, attendant que je donne le signal du départ. Ce
dont je m'acquittais aussitôt.
Chemin faisant, je tentais de résumer ma situation. J'allais devoir remplir
une mission diplomatique avec Osric. Il avait essayé de me tuer pour avoir
eu des rapports avec son oncle. Toute la maison semblait être au courant
: et donc Melekin également avec qui j'avais pourtant accepté un rendez-vous.
Cette branche de la famille ne devait plus vraiment me porter dans son
cœur ! Toutefois, il était trop tard pour changer quoi que ce soit à cet
état de fait. Je ne voyais donc qu'une ligne de conduite à adopter : éviter
de croiser Cymnea et Melekin, et surtout rester polie avec Osric !
En m'arrêtant devant la porte de ma chambre (la vraie), je ne pus m'empêcher
de revenir par l'esprit quelques heures en arrière. Avais-je ou non conscience
de ce que signifiait le fait de rentrer dans cette chambre, dont je savais
pertinemment qu'elle n'était pas la mienne ? Encore une excellente question
à poser à un psychiatre ! Avec cette autre peut-être : pourquoi, malgré
les conséquences, ne regrettais-je rien ? Mais plus tard tout ça ! Je
poussais donc ma porte avec résolution.
Je cherchais mes dagues quand on frappa. J'envoyais Slug ouvrir : Dworkin
avait sûrement oublié une consigne ! Comme je venais de retrouver mes
couteaux, je me retournais et découvris avec stupeur Suhuy. La surprise
dissipée, je l'invitai à s'asseoir. Il était certainement bien plus affable
que Dworkin, même si tout autant énigmatique dans ses propos : "Vous n'êtes
pas seule ici". Que pouvait-il bien vouloir dire par-là ? Que j'avais
des alliés ? C'était rassurant, mais je n'étais pas certaine qu'il s'agissait
du sens exact de ses paroles. Pour me donner le temps de répondre, je
lui proposais à boire. Il refusa, arguant qu'il était pressé et se leva.
Sur le point de sortir de la pièce, il ajouta :
" Si vous persistez, vous ne saurez jamais
qui vous êtes."
Certes,
mais encore ? Parlait-il de mon père ? Ces derniers mots étaient tout
aussi énigmatiques que les premiers. Je ne voyais pas d'explications immédiates,
j'espérais seulement comprendre un jour !
Je me dirigeais donc vers le miroir. Je dissimulais les trois dagues dans
les plis de ma robe et m'inspectais dans la glace. A part cet étrange
visage, rien d'anormal : les traces des coups d'Osric étaient maintenant
invisibles, et une jeune femme séduisante me souriait dans la glace. Je
pouvais affronter les événements la tête haute.
Deux coups secs résonnèrent dans la pièce. "Certainement Osric" pensais-je
en ouvrant la porte. "Ton démon est prêt ?" Oui, je ne me trompais pas
!
Je rejoignis donc le petit groupe et ne pus m'empêcher de remarquer que
seul Bleys n'évitait pas de croiser mon regard. Il m'adressa un sourire
complice, et jeta à l'adresse de ses cousins : "On y va ?". Sur une réponse
affirmative de ces derniers, il dut activer un sort de téléportation car
les grands drapés rouges et noirs disparurent.
Nous
arrivâmes dans la cour d'une sorte de château médiéval. Démons, humains
et autres formes vivantes humanoïdes y fourmillaient. En les observant
mieux, je constatai qu'elles semblaient s'exercer au combat. La maison
Barimen et maintenant celle-ci ! En voilà une façon d'accueillir ses invités.
L'Ordre avait semble-t-il permis de gagner en civilités ! Absorbée par
mes réflexions sur l'étiquette, je n'avais pas entendu Osric s'approcher
et je sursautais en sentant une main me broyer "amicalement" l'épaule
:
" Ce sera à toi de nous ramener avec l'Aiguillier
quand nous aurons terminé."
Alors qu'il desserrait son étreinte et me tournait le dos, je m'aperçus
que j'avais jusque là retenu ma respiration. J'inspirais donc profondément
en vérifiant machinalement le bon fonctionnement de mon épaule.
Le vacarme des armes s'entrechoquant cessa d'un seul coup. Devant nous,
les guerriers s'écartaient en murmurant, et ils formèrent bientôt une
longue allée au bout de laquelle un homme semblait nous attendre en souriant.
Nous avançâmes donc, Osric, Finndo, et Bleys en tête, Slug et moi en retrait.
Je me sentais plutôt… seule au milieu de toutes ces créatures, qui à leurs
regards devaient être de sexe masculin. J'étais toutefois assez bien entourée
et j'avançais donc sans crainte vers celui qui devait être le Duc Borel.
Ce fut malheureusement pour nous Bleys qui prit la parole pour les politesses
d'usage. Nous ne coupâmes donc pas à la question qui brûlait les lèvres
de notre hôte :
" Mais qui est donc cette jeune femme à qui je
n'ai pas eu le plaisir d'être présenté et qui s'est permise des incursions
non autorisées sur mes terres ?"
J'avançais donc, plongeais dans une révérence mesurée à l'aune de son
titre de duc et lui répondis :
" Alice, Seigneur, mais croyez bien que je ne
me serais jamais permise une telle chose si j'avais pu maîtriser mes mouvements."
L'expression de son visage m'indiquait que je n'avais pas manqué de l'intriguer.
Intriguée, je l'étais moi-même, car je m'étais faite une toute autre image
d'un des plus fins bretteurs des Cours (avant son décès, j'entends bien
!). J'imaginais un homme de taille moyenne, de belle prestance, impressionnant
alors même que rien dans son physique ne laissait présager de sa puissance.
Mais je n'apercevais rien de tout ça, ébahie que j'étais devant l'armure
dans laquelle il paradait : elle jetait alentour mille reflets vert pomme
et aucun grain de poussière ne venait la ternir. Il veillait certainement
lui-même à l'entretien de cette preuve de mauvais goût, et semblait s'en
paonner : la tête haute, il rejetait nerveusement en arrière une crinière
d'un roux flamboyant. Quelle heureuse idée j'avais eue un peu plus tôt
de me vêtir uniquement de noir ! Il aurait certainement trouvé impertinent
qu'avec une chevelure semblable à la sienne, je porte de surcroît ses
couleurs. Mais ?! ! J'oubliais que ce n'était pas moi qu'il voyait !
" Seigneur Finndo, je vous propose un marché :
combattons pour cette jeune femme, elle restera avec celui qui sortira
vainqueur de ce duel."
Pardon ? Ils pourraient peut-être me demander mon opinion ! Connaissant
les deux duellistes par les récits familiaux, je n'étais pas inquiète
outre mesure, mais tout de même, un imprévu est si vite arrivé !
" Bien toutefois, que vais-je gagner à ce duel
? L'Aiguillier de votre maison peut-être ?"
" Hum, certes ! Pourquoi ne pas le gager, je gagnerai
et vous le savez."
Bien joué ! Nous n'aurions pas besoin de nous enfuir comme des voleurs
après avoir dérobé l'Aiguillier. Alors que je félicitais intérieurement
Finndo, je sentis une pression sur mon bras. Tranquillement, un valet
me reléguait dans le décor, à côté d'un de ses collègues portant la bague
sur un petit coussinet vert pomme ! Ainsi donc, j'étais devenue un trophée
! Quelle époque "arriérée" !
" Afin de rendre les chances égales, mon cousin
Bleys vous affrontera en mes lieux et place."
" Si vous souhaitez entraîner le petit, pourquoi
pas ! Mais promettez-moi un réel affrontement après que je lui ai donné
sa leçon."
J'observais Finndo. Il souriait, manifestement aussi amusé que moi de
la pédanterie de Borel. Mais mon oncle, ne connaissant pas toute l'histoire,
ne pouvait en apprécier le piquant : il ne savait pas comment Borel était
décédé, victime de son incommensurable vanité.
Pendant l'échange entre les deux hommes, un vaste cercle s'était formé
autour du maître des lieux. Finndo murmura quelques mots à l'oreille de
Bleys puis ce dernier s'avança vers le centre de l'assemblée. Paradoxalement,
il avait l'air peu sûr de lui, ce qui n'était pas pour me rassurer !
Les deux adversaires se saluèrent puis dégainèrent. Je n'avais aucunement
envie de terminer mes jours parmi ces barbares, la Licorne fasse que Bleys
gagne ! De toute évidence, Borel souhaitait se débarrasser au plus vite
de son adversaire et celui-ci était contraint à la défense. Il parait
les attaques tout en reculant. Autour de moi les soldats hurlaient, qui
des encouragements, qui des insultes et des plaisanteries. Mon oncle,
réveillez-vous ! Les attaques pleuvaient toujours mais Bleys avait cessé
de reculer. Il semblait toujours aussi frais qu'au début du combat, ce
qui n'était pas le cas de son adversaire. Certes en apparence rien ne
paraissait avoir changé, mais les coups se faisaient moins variés. Je
n'étais pas la seule à l'avoir remarqué et Bleys passa à l'attaque. En
quelques minutes, tout fut fini : Borel était à terre, une épée pointée
dans sa direction.
Je ne pus m'empêcher de sourire en voyant sa "superbe" armure maculée
de poussière. Je respirais beaucoup mieux soudainement ! Toutefois, ma
petite voix intérieure me signalait que mieux valait ne pas s'attarder
à contempler ce délassant spectacle. Je me tournais donc vers le valet
au coussin, lui adressai un sourire et pris l'Aiguillier. Osric, Finndo
et Bleys m'avaient rejointe.
Je me projetais dans l'Aiguillier et y puisais un sort de transport instantané.
Avant de l'activer, je jetais un dernier regard à Borel : il s'était relevé
et pestait tout en époussetant sa chère armure. Heureusement pour lui,
l'Histoire oublierait ce combat !
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