- Dworkin -

     Je me réveillai dans une pièce inconnue. J'étais seule et pas encore remise : il était impensable de rester longtemps ainsi. Bien que j'eus envie de me trancher la tête, je rassemblais donc mes forces pour tirer de l'Aiguillier un sortilège de guérison. Le sommeil m'emporta aussitôt, sans que je sache si j'avais réussi…

     Des coups frappés à la porte m'arrachèrent des bras de Morphée. Je m'assis au bord du lit et constatai avec plaisir que la douleur s'était envolée. J'allai donc ouvrir en essayant de rassembler mes esprits. Un valet rentra qui se métamorphosa en tirant la porte derrière lui : Dworkin. Sans prendre le temps de s'inquiéter de ma santé, il me tendit un miroir :
    " Voilà ce que tout le monde voit depuis ton arrivée."
Je jetai un œil au reflet et fut stupéfaite par ce que j'y voyais : une femme brune aux yeux de la même couleur sombre, les traits félins. C'était une sensation étrange que de se regarder dans un miroir et d'y contempler une autre. Ainsi, personne ici n'aurait jamais vu Lycia. Mieux valait en effet, si l'histoire traversait les siècles, qu'il soit question d'une Alice brune plutôt que de moi. Dworkin avait donc vraiment pensé à tout ! Mais pour l'instant, il était là, bien plus jeune et n'avait pas manqué de remarquer ma stupeur. L'air satisfait, il me dit que nous étions attendus dans la salle du buffet puis sortit.
Nous ? J'inspectais rapidement le reste de la pièce mais n'y aperçus personne d'autre. Je me dirigeais donc vers la salle de bain où devait se trouver un miroir. Ce visage me fascinait, il me donnait l'impression de jouer un rôle, de n'être pas vraiment moi. Peut-être était-ce là ce qui m'avait poussée dans les bras d'Oberon. Peut-être était-ce ce visage qui l'avait séduit, un visage choisi par Dworkin ! Etait-il possible qu'il ait souhaité ce qui s'était passé ? Mais pourquoi ? Non ! Mieux valait éviter de penser à tout ça tant que je ne voyais pas d'explication. Un mouvement du reflet attira mon attention. Une bulle de savon se déplaçait derrière moi. La chose, se voyant repérée, se transforma pour devenir un globe visqueux. Un œil ! L'œil de Slug ! Je l'appelai et il sortit du placard où je n'avais pas pensé à regarder. Il m'expliqua qu'il s'était caché pour mieux surprendre les "méchants" (selon ses propres termes). Brave démon, au moins, je pouvais compter sur lui !
Je pris rapidement une douche fraîche et enfilai une robe noire. Pendant ce temps, Slug avait repris forme humaine. Nous étions prêts. Mais pour quoi ?
Quand nous arrivâmes dans la grande salle, tout le monde était déjà là. Nous devions être attendus car à notre arrivée, le groupe se mit en marche. Je suivis donc, observant le même silence religieux que tous les autres. Encore des couloirs interminables et de grands drapés rouges et noirs. Et dans les replis du tissu, il me sembla apercevoir Suhuy. Il nous observait en silence, d'un regard chargé de doutes et d'inquiétudes.
Après quelques minutes, nous pénétrâmes dans une chapelle aux couleurs de la maison Barimen. Dworkin, Melekin et Oberon se dirigèrent vers une sorte d'autel dédié au Serpent. Les autres prirent place sur les bancs qui meublaient le chœur. Je les imitai et indiquai à Slug d'en faire autant. Quand nous fûmes tous assis, Dworkin prit la parole :
    "Vous le savez tous, nous nous lassons du Chaos. Il détruit tout ce que nous mettons en œuvre. Aussi, la décision que j'ai prise de vous engendrer avec Vilnée avait pour but de créer une ère nouvelle. Une ère de changement, celle de l'Ordre. Nous allons passer à la deuxième étape, nous allons créer un ordre révolutionnaire !"
Oberon intervint :
    " Pour cela votre grand-père a déniché de l'aide. Et il nous confirme par là que notre entreprise sera couronnée de succès. Alice nous apporte une aide précieuse et inespérée."
Puis ce fut au tour de Melekin :
    " Pour ce qui est des Atouts, n'ayez aucune crainte. J'ai dessiné des Atouts compatibles avec le nouvel ordre. Vous en recevrez tous un jeu."
Dworkin reprit alors la parole :
    " Le Chaos a émergé à l'aide d'une créature abyssale, en créant plusieurs piliers : les Aiguilliers. Nous devrons, pour réussir, en récupérer un maximum et je compte sur votre aide à tous."
Pendant ce temps, un jeu d'Atout m'était parvenu. Sur le dos de chaque carte était représentée une licorne. Notre Licorne. Ainsi Melekin ne se contentait pas de manipuler les Atouts d'Ambre, mais il en était le véritable créateur. Mieux valait donc effectivement que je ne lui parle pas du but de ma visite ! Je retournai les cartes et parcourai brièvement le jeu : Dworkin, Oberon, Melekin, Osric, Finndo, Benedict, Bleys, Alice ,… Alice ? Je trouvais assez flatteuse l'image que j'avais sous les yeux, mais ces tarots, qu'étaient-ils devenus dans le futur ? Que se passerait-il si quelqu'un essayait cette carte et que je répondais ? Je les rangeais donc en prenant soin de ne pas les mélanger à mon propre jeu.

     Un toussotement discret m'arracha à mes songeries. Je levai les yeux et aperçus Dworkin. Nous étions maintenant seuls tous les trois avec Slug.
    " Je souhaitais te poser une question Alice. A quoi ressemble-t-elle ?"
A son regard, je sus avec certitude qu'il me parlait de la Marelle. J'hésitais un instant. Puis il me vint à l'esprit qu'elle était déjà inscrite dans le Joyau. Je pensais donc ne rien changer en essayant de la lui montrer. Après avoir jeté un œil craintif au Serpent du Chaos qui veillait sur ce lieu sacré, je me concentrai. J'essayai de retrouver en moi l'Empreinte de la Marelle. Je ne percevais qu'un vide. Je tentai de l'imaginer, je la retraçai mentalement. Une main se posa sur mon épaule. Les choses devinrent plus facile. Je voyais maintenant le Tracé froid et bleuté, il devenait de plus en plus réel. J'avais le sentiment de recouvrer la vue. Elle dansait dans mon esprit et soudain plus rien ! Prise d'un vertige, je me rattrapais au bras de Slug.
Dworkin semblait satisfait. Ce me semblait donc être le meilleur moment pour lui expliquer le but réel de ma visite. Je lui racontais donc que Melekin voulait détruire Ambre, que son homologue du futur voulait le neutraliser. Je lui dis comment pour cela il m'avait envoyée ici afin que la Marelle soit compatible avec les Atouts.
Il m'écouta sans m'interrompre, étonné me sembla-t-il, du comportement de Melekin. Et effectivement, rien de ce que j'avais vu jusqu'à présent ne laissait présager une telle chose. Mais les faits étaient là, et moi aussi ! J'avais accompli ma mission et je n'étais pas rentrée ! Une fraction de seconde, je fus saisie de panique : à aucun moment, Dworkin ne m'avait expliqué comment rentrer ! Mais je ne pouvais pas croire qu'il avait prévu de me laisser dans le passé, après tout, il m'avait nommée garde du corps de Yarick. Comment ce dernier ferait-il, avec le Joyau en guise d'œil, pour survivre sans mon aide ? (!!!)