- Evolutions -

     Je fêtais mes 13 ans et comme chaque année après mon anniversaire, les résultats annuels de la classe furent proclamés. Galaak m'avait dépassée de 2 points ! ! Fier de lui, le vilain s'en amusa, provocateur. C'est donc agacée que je lui tournai le dos pour me perdre dans mes pensées. Le prix que je désirais tant m'échappait et avec lui l'espoir de découvrir très prochainement toute une vie fabuleuse et brillante.
Je me souviens que Kaer en profita pour me balancer une de ses plus méchantes vannes, à propos de ma minuscule poitrine et de mon "trop peu de cervelle". Glinain et Zeo Leo lui tombèrent dessus et l'imbécile se retrouva bien vite à terre, KO. Puis mes deux amoureux vinrent me demander de choisir une fois pour toute… L'épisode fut assez cocasse puisqu'un troisième prétendant se révéla soudainement, démontant verbalement les deux autres avant de s'approcher de moi : Galaak m'attrapa doucement par la taille et m'embrassa…avec la langue… Pouâââââââhhhhhhh ! ! ! Je le repoussai violemment en crachant : "C'EST DÉGOUTANT ! ! !". Mais ne tenant pas compte de ma réaction pour autant, il prit doucement ma tête entre ses mains et me dit, yeux dans les yeux, que je serai sienne, un jour... Cette déclaration ne me plut pas du tout et je me dégageai brusquement. Pour qui se prenait-il donc ? De quel droit m'avait-il embrassée ? Nous partagions une légère amitié depuis quelques temps et voilà qu'il se croyait tout permis ! Enervée et fort mécontente, je tournais le dos sans un mot à ce prétentieux trop sûr de lui et au comportement ridicule.
Les journées qui suivirent furent tendues et je ne lui adressais plus la parole. Pourtant, à de nombreuses reprises, il essaya de se faire pardonner sa maladresse. Mais je restai de marbre. Comme ça, il aurait au moins le temps de méditer sur ses erreurs.

     Les cours continuant nous apprîmes cette fois à connaître la Caldeira, son histoire, sa géographie, sa végétation exotique fort variée et sa faune tels les Mange-Pierres (des gros pachydermes se nourrissant des ruines) ou encore les Inos (oiseaux insectes à 9 ailes, source de nourriture principale du royaume d'Ambre).
Zeo Leo et Glinain essayaient toujours de sortir avec moi, tandis que Galaak se montrait d'une gentillesse sans limite pour rétablir un minimum de civilité et d'attention dans nos rapports. Il baissa même son niveau de combat pour que je reprenne l'avantage dans la course au premier prix ! C'était une séduction passive et sans arrière pensée mais son pouvoir était tout de même redoutable. Et je me rappelai les paroles de Flora à ce sujet : mise en œuvre volontairement, avec prudence et sur les bonnes personnes, la séduction pouvait ouvrir bien des portes…

Peu à peu, je lâchai quand même du lest, cédant sous la tonne d'efforts qu'il fournissait. J'étais bien rancunière à l'époque, mais il avait réussit à m'émouvoir, lui et sa ténacité.

     Une autre relation importante évolua elle aussi positivement. Le comportement de maman envers moi changeait. Elle était plus souriante et me considérait d'avantage comme une adulte. Je ne la voyais pourtant que très peu, moins qu'avant même, aussi c'est avec une joie simple et sincère que je passai du temps avec Flora, plus présente que jamais. S'occuper de moi lui rappelait peut-être sa propre jeunesse. Ainsi nous nous retrouvions souvent à discuter toutes les deux, des heures durant, dans un petit salon discret du château.

     Puis un beau jour, un événement d'importance secoua Ambre : une nouvelle Marelle venait d'être officialisée. La Marelle de l'Eau se situait loin dans les profondeurs océanes et c'est à Galaak que l'on en devait la découverte ! Comment avait-il fait ? Je ne sais pas. Toujours est-il que cela s'ajoutait aux mystères, déjà nombreux, gravitant autour de lui.
Et il ne faisait aucun doute qu'il l'avait traversée, ainsi que sa mère, Llewella.

     Physiquement, je m'épanouis enfin. Je pris des hanches, des fesses et des seins avantageux. A 14 ans, je trouvais mon corps parfait : fine, élancée, athlétique, très féminine et…très désirable !
Pourtant ma puberté était encore loin d'être achevée.


 

     La vie continuait parfois monotone, parfois amusante, toujours constante.
Elle fut troublée par un événement plus que suspect. Un soir en rentrant des cours, le Château m'apprit que j'avais reçu de la visite : un étranger avait fouillé ma chambre, fort discrètement. La description était celle d'un jeune homme brun aux cheveux courts, avec une légère barbe.
Intriguée et vaguement mécontente, je décidai de tirer cette affaire au clair et de mener mon enquête. Adoptant la technique de Mandor, j'utilisai mon odorat dopé par la métamorphose et remontai ainsi la piste jusqu'en ville, à un hôtel joliment décoré légèrement en retrait, dans une ruelle ombragée et discrète. Puis, métamorphosée en une personne quelconque, je me renseignai auprès du Maître d'Hôtel. J'obtins la confirmation que celui que je recherchais était là et qu'il attendait une jeune femme me ressemblant étrangement. Ainsi, il savait que je viendrais… Je repris donc ma vraie forme et fus conduite auprès de lui.
Il était beau, viril, on aurait dit Eric en plus jeune. Et ce n'était pas Yarick.
Il alla droit au but, me figeant sur place. Car Sa présence était terrifiante comme un père sévère et étouffant envers sa petite fille. Je n'osais dire mot, ne pouvant qu'écouter ses paroles : Il me complimenta sur mon corps que je mettais souvent en valeur à cette époque, car j'en étais fière. Il s'attarda de nombreuses minutes sur mon profond décolleté avant de prononcer :
" Mon intention est de te dépuceler Kasumi…"
Mon cœur bondit sous la violence du propos. Ce fut un autre que lui, il aurait vite été rembarré. Mais ce n'était pas un autre… c'était… différent, inexplicable…
Calmement je repris mes esprits et tentai quelques mots de protestation : "Je…je ne désire pas avoir de relations… encore moins avec un inconnu…"
Il n'avait cependant pas le choix : une puissance qu'il pensait être la Licorne lui avait donné l'ordre de me donner un enfant. C'était tout simplement mon destin. Une foule d'interrogations me traversèrent l'esprit : la Licorne était-elle mauvaise ? Y avait-il un lien avec mes rêves étranges ? Quelque chose ne collait pas : la Licorne des rêves était douce et attentionnée, pas si brutale et hypocrite.
Il continua : un jour ou l'autre il serait obligé de m'engrosser, que ce soit de gré ou de force. "Mais ce n'est ni plus ni moins qu'un viol…" répliquai-je faiblement, la voix tremblante.
" Tu peux le prendre ainsi…ou bien d'une autre manière…" décréta-t-il. Il y eut un bref silence. Et alors que j'étais paralysée, il dit : "Je sens que tu n'es pas prête… aussi vais-je t'épargner et désobéir à la Puissance. Cela peut attendre encore un peu. Tu auras le temps de te faire à cette idée. Mais ce n'est que partie remise car un jour…"
Sur ces derniers mots lourds de sens, l'entrevue se termina et c'est mal à l'aise que je regagnai mes appartements.

     Un sentiment de révolte bouillonnait en moi. J'avais l'impression que l'on voulait écrire mon histoire à ma place, que ma destinée était toute tracée, sans possibilité de choix. Rêves, Licorne, Puissance mystérieuse, tout bouillonnait dans ma tête. Et cette hypocrisie latente que j'observais parfois chez les Ambriens depuis ma mésaventure de la chasse au trésor ne faisait que renforcer mes impressions du moment. Aux Licorne et Ambriens, pouvais-je encore faire confiance ? Qui croire si tant de choses semblaient reposer sur les mensonges et les faux-semblants ? Je ne pouvais pas me laisser faire ainsi et servir d'outil à je ne sais quels desseins. Je voulais encore moins être violée et engrossée par un inconnu. Je n'étais pas une vulgaire vache laitière !

     15 ans.
     Je finis première de ma classe car Galaak m'a laissée gagner. C'était pourtant une période triste : non seulement à cause de ma sombre rencontre et des questions, doutes et révoltes qu'elle entraînait et qui me taraudaient souvent l'esprit, mais aussi à cause de mon corps qui n'arrêtait plus de se développer.
Je me trouvais trop grosse avec ce maudit ventre bombé, ces hanches trop larges. Mes seins me semblaient trop lourds, trop volumineux, inesthétiques voire difformes : dans le miroir, je les voyais s'affaisser, s'écrouler sous leur poids démesuré. J'avais perdu toute ma sveltesse : je me trouvais laide comme un pou et aussi peu désirable qu'un linos. Kaer en profita pour lancer quelques remarques assassines : "mamelles de vaches", ou à me comparer à une danseuse ridicule, en tutu, où toutes mes chairs superflues débordaient du costume, s'agitant mollement pendant que je tournoyais sur la piste. J'imaginais le peu de grâce que je devais avoir, à cette époque, aussi élégante qu'un mammouth au milieu de fines gazelles élancées. Kaer savait toucher là où ça faisait mal…
Evidemment, moi je voyais tout en noir et tout ce qu'il me racontait me semblait vrai malgré l'attention que me portaient toujours Zeo Leo, Glinain et Galaak.
A la limite de la déprime, j'en parlai à Flora qui s'empressa de me rassurer et de m'apporter le réconfort que ma mère ne pouvait me donner.
Mais je mis encore longtemps des habits larges et n'allai plus me baigner avec les autres en maillot de bain. Je ne pouvais pas dévoiler à la critique moqueuse toutes ces rondeurs que je croyais superflues.