… Le ciel était déchiré, partagé entre le bleu marine de la nuit et les prémices écarlates d'une aube nouvelle. Les étoiles luttaient pour conserver un instant encore une place dans le ciel et se refuser à prendre les routes menant à l'Abysse.
Un oiseau bien matinal se mit à chantonner pour accueillir le soleil rayonnant. Il était temps de commencer pour un nouvel épisode des …

Feux de la Licorne

Résumé des épisodes précédents :

     " Le Roi est de retour. Après sa défaite apparente contre les Cours du Chaos, (il y a maintenant huit cent septante neuf épisodes et à peu près six heures de temps ambrien), le Roi Oberon est de retour. Renforcé par quelques heures de natation au Gymnase Club et une cure thermale à Vichy, il est maintenant prêt à reprendre le pouvoir.
Pourtant, ce jour n'est pas comme les autres. En Ambre, c'est la Saint Morkalove, le jour où les amoureux déclarent leur flamme à l'être aimé, avant de le poignarder quand il se baisse pour ramasser les fleurs, malencontreusement tombées.
Jeunes filles et jeunes hommes du royaume s'y préparent depuis des semaines.
L'action peut commencer…"

Intro dans un couloir dont les murs, fraîchement peints en vert commencent déjà à être recouverts de riches tapisseries. Des pas rageurs sonnent.
Lycia entre. Suivie de Tristan.

Lycia : " Pestilence abyssale. Sous résidu de gouape. Comment a-t-il pu me faire ça, à moi ?"
Tristan : " Mais enfin, mère adorée et vénérée, suprême lumière de mes jours, …"
Lycia : " Aux faits, Tristan."
Tristan : " Eh bien, je me disais juste que je comprenais votre colère, déesse incarnée du peuple ambrien, mais que, voilà, je pense que nous devrions attendre et profiter de la situation."
Lycia : " Profiter de la situation ? Attendre ? Alors que Sa Majesté Impériale, Oberon le seul et unique, cumule injustice sur injustice ? Sais-tu seulement qu'il a vidé ma piscine olympique pour éteindre les incendies qui ravagent la ville ? Sans prêter la moindre attention à cette odeur de chlore qui empeste maintenant les quartiers populaires ?"
Tristan : " Oui, mais comme cela, au moins, il reste encore des quartiers populaires."
Lycia : " A quoi bon ? Je ne descends jamais en ville, mais je vais à la piscine. Excuse-moi. J'allais à la piscine. Cet âne couronné a même libéré la moitié des prisonniers politiques que j'ai faits sous mon règne. Tu te rends compte ? Alors qu'il est Roi depuis six heures. Mais il n'a pas pensé à l'ampleur de la tâche. Il y a déjà surpopulation dans la ville, et s'ils ne font rien, tous ces gueux seront morts de faim d'ici deux jours.
Tristan : " Il faut avouer, lumière céruléenne face à laquelle la Marelle même pâlit, qu'il avait fallu centupler les donjons du château, et demander à certains prisonniers de rester chez eux."
Lycia : " Insulte suprême. Ce matin, au saut du lit, je me suis arrangée pour avoir une audience avec lui. Le jour de la Saint Morkalove. Je me présente, après avoir fait murer les issues des appartements de Voile, nous parlons de l'aménagement du territoire, bref, je papote et là…"
Tristan : " Là quoi ?"
Lycia : " Là,… rien."
Tristan : " Comment ça, rien ?"
Lycia : " Rien. Il ne l'a pas fait."
Tristan : " Il n'a pas fait quoi ?"
Lycia : " Le droit de cuissage. Il ne m'a pas violée."
Tristan : " ? ? ? ? Je crains de ne pas comprendre, plus beau des joyaux de la couronne."
Lycia : " Normal Tristan. J'ai d'excellents gènes, mais malheureusement, tu as eu plus de la moitié de ceux de ton père. Cela m'inquièterait moins si ton frère ne montrait pas de suspicieuses tendances à la miséricorde, à la compassion et à la justice. Enfin, je suppose que c'est là ce que l'on obtient lorsqu'on a un mari dont la définition de l'érotisme est une femme en armure qui enlève ses gantelets. Non, minus, ce que je voulais dire, c'est qu'Oberon n'a pas profité de son droit de cuissage, alors que ton père et moi nous mariâmes quand il n'était pas là. Pourtant j'avais emmené les certificats et même le prêtre de la Licorne.
Tristan : "Mais enfin, mère…"
Lycia : " Tu m'as appelée comment là ?"
Tristan : " Euh, suprême génitrice, Regina Mundi et, euh…"
Lycia : " Bon, souviens-toi que je ne goûte que très peu l'impertinence chez les gens dont la supériorité n'est pas écrasante."
Tristan : " Mais je veux dire… et papa."
Lycia : " Tristan, tu es maintenant assez âgé pour que je te révèle ce secret. Ton père est, comment dire… simplet. Ou alors il y met de la mauvaise volonté. Ce matin, quand je l'ai détaché et fait sortir du placard avant de partir, je me suis rendu compte qu'il avait encore essayé de s'échapper."
Tristan : " Dans un placard, mais je ne comprends pas."
Lycia : " N'essaye pas, t'es pas équipé pour. Quand la Marelle s'est installée dans ta tête, j'aurais dû me douter qu'il faudrait faire de la place en enlevant quelque chose. Bien sûr que je l'attache. Je ne peux pas le contrôler quand je dors. Il faut bien que je l'attache."
Tristan : " Mais je croyais que vous vous aimiez."
Lycia : " Eh oui. Mais depuis que je me suis cassée un ongle l'année dernière, il n'a plus voulu… enfin bon, je me comprends."
Tristan : " Pourquoi me dire ça maintenant ?"
Lycia : " Parce que c'est le jour de ta séance de rééducation encéphalectomique hebdomadaire."
Tristan : " Oh non, au secours."
Lycia : " Donne-moi ton cerveau, te dis-je ! !"

La caméra se retire pudiquement alors que Lycia remet son fils dans le droit chemin et que celui-ci lui sacrifie gaiement ses dernières synapses.
Dans un long travelling, la caméra surplombe une matinée quasi idéale en Ambre. Le soleil inonde d'une lumière dorée les murs froids du château, où les premiers lézards commencent à paresser. Puis elle se fixe au pied d'un arbre dans les jardins. Alwynn s'y tient, avec à la main un bouquet de fleurs et sur le visage un air mélancolique.

Kasumi s'en vient, vêtue d'un kimono de soie noire et rouge, avec un air défait, endormi et bougon. A sa vue Alwynn cache précipitamment le bouquet en s'asseyant dessus, ne réussissant qu'à se faire mal sur les épines des roses.

Kasumi : " Bon, Alwynn, je ne sais pas trop ce que tu avais à me dire, mais laisse-moi te dire que, premièrement tu es bien matinal, et deuxièmement, tu as pété la vitre de chez moi avec ton mot accroché au gravier. Depuis les Chaosiens n'arrêtent pas de me mater sous la douche, par Atout.
Alwynn : " J'ai fait ça il y a dix minutes ? Et le coup du caillou sur la vitre, j'ai vu faire ça dans des films."
Kasumi : " Dans les films, ils ne font ça ni avec des briques, ni avec une force ambrienne, et en ce qui concerne le Chaos, on peut dire que pour une fois le temps leur est favorable."
Alwynn : " Désolé."
Kasumi : " C'est pas bien grave. " son ton se radoucit. " Bon, tu veux quoi ?"
Alwynn : " A vrai dire je ne suis plus sûr. J'étais venu pour t'offrir des fleurs."
Alwynn sourit pitoyablement en montrant le pitoyable résidu de bouquet. "Mais en arrivant, je me suis rendu compte que c'était vendredi aujourd'hui."
Kasumi : " Vendredi ?"
Alwynn : " Oui, le jour préféré de Qalypso. Tu sais que j'ai toujours été déchiré entre elle et toi et, si près de sa disparition, je trouvais cela de mauvais goût de t'offrir ces fleurs."

En disant cela, Alwynn rougit. Kasumi ne dit rien. Ce silence dure une petite minute, pendant laquelle on entend le long cri de douleur de Tristan en provenance du château.

Kasumi : " En tout cas, tout ce qui compte, c'est l'intention. Je dois avouer que je suis aussi flattée que surprise que tu me demandes d'être ta morkalovette."
Alwynn : " Ah bon ? C'est la saint Morkalove ?" Puis précipitamment. "Euh, mais en tout cas."
Kasumi : " Alwynn, tais-toi et ne gâches pas cette belle matinée."

Après une minute de silence.


Kasumi : " J'ai entendu parler de ta performance au marathon des Jeux Olympiques interombre. C'est impressionnant."
Alwynn : " Non, c'était simple. J'ai ouvert l'Abysse au départ et j'ai dirigé la sortie vers l'arrivée. En un pas j'étais rendu."
Kasumi : " C'est quand même une performance. Et aux autres épreuves ?"
Alwynn : " Rien de rien. Les Chaosiens et Gerard ont tout raflé aux autres épreuves, à part au fleuret."
Kasumi : " Benedict ?"
Alwynn : " Lui-même. On peut dire que je suis mauvais joueur, mais je ne suis pas sûr que l'esprit olympique en sort vainqueur. Enfin bon, j'ai quand même eu la meilleure note du public pour le défilé du cortège de l'Abysse."
Kasumi : " J'ai vu les images. Il y avait combien ? Quarante Alwynn qui dansaient, avec limaces qui jouaient du trombone. Pas étonnant que le public ait voté pour. En plus il y avait beaucoup de spectateurs, non ?"
Alwynn : " Et encore, on a dû se limiter. Au début tous les Alwynn voulaient venir, mais on est tombé d'accord sur trois millions. Au fait, tu as vu Yarick ?"
Kasumi : " Non. Hier, il a déclaré qu'il allait passer cette journée en tête à tête avec la personne qu'il aimait le plus au monde."
Alwynn : " Ah oui ? Qui ça ?"
Kasumi : " Je ne sais pas. Il a acheté un miroir, il a éjecté Elna et depuis il est enfermé seul chez lui."
Alwynn : " Les grands hommes sont parfois difficiles à comprendre."
Kasumi : " Tu m'étonnes. Et ta vie dans le Chaos ?"
Alwynn : " Horrible. Comme je ne connais rien au poste de Serpent, je fais de mon mieux pour affermir mon image, avoir l'air sérieux, me faire respecter quoi."
Kasumi : " Et ça marche ?"
Alwynn : " Tous les soirs je dois faire gaffe à ce qu'ils n'aient pas caché des mangoustes dans mon lit, et j'en ai marre de manger des souris."
Kasumi : " Pauvre Alwynn."

Kasumi se rapproche d'Alwynn et s'assoit près de lui. Leurs mains se frôlent un instant. Elle pose la tête sur son épaule. On sent Alwynn nerveux. Puis il se détend un peu. Leurs visages se rapprochent l'un de l'autre. leurs lèvres s'effleurent presque…

A ce moment, la porte s'ouvre à la volée. Levon en sort en courant, poursuivi par une Lycia à l'air furibond.

Lycia : " Reviens immédiatement !"
Levon : " Jamais."

Levon disparaît dans un buisson, à toute allure. Lycia, relevant le bas de sa robe, se débarrasse de ses chaussures et le poursuit en hurlant des insanités. Elle disparaît elle aussi dans le buisson, à la poursuite de son fils.
Nos héros restent interloqués, les yeux ronds.

Kasumi. : " Tu as vu ce que je viens de voir."
Alwynn : " Oui. Je vois que les choses ne changent pas ici."
Kasumi : " Tu sais ce qu'on dit."
Alwynn : " Non ?"
Kasumi : " Quand les imbéciles voleront, le ciel sera d'un vert jamais vu jusqu'ici."

On entend un genre de déflagration sourde au loin, et on entraperçoit un éclair bleu de l'autre côté du buisson, ainsi qu'une forte odeur d'ozone.

Alwynn se lève, l'air gêné.
Alwynn : " Bon, il faut que j'y aille, je dois encore acheter quelques milliards de sandwichs."
Kasumi se lève aussi.
Kasumi : " Passe me voir la prochaine fois."
Ils se font la bise. Levon traverse les jardins d'un pas endormi. Alwynn s'en approche. Levon se tourne vers lui sans rien dire, les yeux vitreux.
Alwynn : " Salut Levon, ça va ?"
Levon, d'une voix monocorde : " Je dois promener le cocker. C'est la mission."
Lycia traverse la cour, échevelée, sans chaussures, mais avec un air de satisfaction féroce.

Laissons là nos héros. La matinée est jeune et ils ont encore beaucoup à faire.

Et au prochain épisode :
" Le cocker se révèle être un espion du Chaos cloné dans le passé par Brand métamorphosé en Melekin pour tromper la Roue Spectrale et ses enfants."