- Retrouvailles -

     Après s'être entraîné à l'évocation des Empreintes de Marelles une journée entière, Tristan s'effondra de sommeil dans un hôtel du style 19ème siècle de l'Ombre terre, choisi évidemment par sa mère. Sa nuit fut une succession de rêves incomplets et incohérents, et se termina par la réapparition de celui terrifiant de son enfance. Mais il était cette fois-ci prisonnier d'une entité sans pouvoir se libérer, ni même exprimer son désir de liberté.
A son réveil le lendemain, il ne trouva pas sa mère dans l'hôtel, mais toutes ses affaires étaient là. Il décida d'essayer de la joindre par Atout mais n'y parvint pas. Il appela donc son père, Ixaani, qui était sur une des collines d'Ambre. Autour de Tristan, le monde changea rapidement, sans qu'il ne puisse y faire quoi que ce soit. Les événements se précipitèrent, le niveau technologique de l'hôtel augmenta considérablement, des bruits de klaxons se firent entendre… Il saisit rapidement la main offerte par son père et arriva à Ambre, sain et sauf. Ixaani lui expliqua que lors du contact, la Réalité dominante imposait le cours temporel de l'Ombre. Il était donc dangereux de contacter par Atout les personnes dans les Ombres. Il expliqua aussi à Tristan qu'au commencement des univers, les Atouts étaient des portes intemporelles vers le passé. A présent, seul le risque de modification des coefficients temporels menaçait les contacts.
Lorsque Tristan eut rapporté la mystérieuse disparition de sa mère, ils essayèrent de la contacter ensembles et y parvinrent enfin. Elle était dans l'Ombre Loch, l'Ombre d'enfance des deux frères jumeaux. Elle expliqua qu'elle avait essayé de contacter Levon mais qu'il était dans une Ombre à flux temporel plus lent qu'elle. Il avait en effet changé d'Ombre grâce à son demi-frère Alwynn. Tout s'était accéléré et voyant son Ombre s'effondrer, il avait pris le geste de sa mère pour une agression. Il avait alors tenté de la tuer de ses propres mains et elle avait été obligée de le terrasser psychiquement pour l'en empêcher.
Ixaani prit le corps de Levon, que Lycia maintenait magiquement endormi, et le ramena dans une geôle du palais. Tous trois eurent alors une longue et douloureuse conversation. Ixaani était furieux contre Levon et hésitait entre exercer ce que son sens de la justice commandait et le pardonner comme lui suggérait son affection de père. A l'issue de leur conversation, Lycia alla sonder psychiquement l'esprit de Levon. Tristan et Ixaani restèrent avec elle pendant qu'elle se livra à sa sonde psychique.

     Je savais que c'était la meilleure décision : c'était le meilleur moyen de savoir ce qui était arrivé à Levon, de le protéger à l'avenir. Il nous fallait savoir de quoi il en retournait, si nous pouvions encore faire quelque chose pour l'aider. Je ne pouvais me résoudre à l'idée qu'il aurait pu tuer maman… Papa, lui, n'était pas prêt à pardonner à mon frère, il lui en voulait beaucoup trop pour son geste.
Le visage de notre demi-frère Alwynn m'était familier. Lui ou une de ses ombres était un artiste sur l'Ombre Terre où nous avions vécus. Je l'avais en effet vu sur des affiches de publicité. C'était ainsi que Levon avait dû le connaître. Il avait appris par lui-même à dessiner des Atouts et avait essayé de le contacter. Lorsqu'il m'avait joint, il avait déjà perdu le jeu d'Atout de maman et il avait alors testé sa première création personnelle. Après son succès, il avait fait et utilisé celui d'Alwynn. Ainsi, il avait aussi rencontré Kasumi, Zeo Leo, Galaak et Elyas. C'est Yarick, véritable occupant psychique du corps de son fils Elyas, qui l'avait amené dans l'Ombre où maman l'avait trouvé. Elle vit aussi dans l'esprit de mon frère qu'il se sentait coupable de sa tentative…
Nous ne savions que faire et nous trouvâmes une solution qui nous sembla la meilleure. Maman reconstruisit l'Ombre où elle avait trouvé Levon, de manière identique à son souvenir. Elle le laissa au petit matin d'une journée, afin qu'il ait l'impression d'avoir rêvé la journée où maman était intervenue. De mon côté, je le contacterai plus tard dans la journée et feindrai la surprise de le trouver dans les Ombres.

     Tristan parvint à contacter son frère Levon. Il était dans les Ombres et lui expliqua que c'était dû au fait qu'il était devenu un autodidacte des Atouts. Il était d'excellente humeur et ne semblait garder trace des manipulations psychiques de sa mère. Tristan lui parla de sa traversée des Marelles et Levon accepta de le rejoindre dans l'Ombre où il se trouvait. Après le récit de Tristan, Levon fut séduit par l'idée que des souvenirs lui soient révélés. Il se demandait sans nul doute, consciemment ou non, si son souvenir de l'intervention de Lycia était réel ou non.
Levon avoua à Tristan son envie de revoir leur mère. Ils la contactèrent et elle rejoignit ses deux fils. Ils fêtèrent leurs retrouvailles dans un casino, près du manoir où les deux frères s'étaient donnés rendez-vous. Tristan montra à Levon sa maîtrise débutante du voyage dans les Ombres et Levon leur montra les Atouts d'eux qu'il avait dessiné. La soirée au casino se termina par leur fuite du lieu suite aux facéties de Levon. De retour au manoir, conformément aux manipulations de Lycia, une grande piscine et deux jolies servantes les attendaient pour finir la nuit.

     J'avais passé une très agréable fin de soirée avec ma jeune compagne. Elle me plaisait beaucoup et nos ébats avaient été des plus voluptueux. C'est sur cette impression de bien-être que je m'étais endormi. Maman perturba l'un de mes rêves avant que je ne m'éveille et que je n'accepte son contact d'Atout : elle devait revenir à Ambre s'occuper des affaires du Royaume. Je me rendormis et me réveillais aux aurores. Ma jeune compagne me murmura quelques mots d'amour à l'oreille avant de me laisser… Je décidai de me lever, avant de ne trop m'interroger sur la Réalité des actes d'amour avec les Ombriennes, lorsque je tombai nez à nez avec un groom dans le couloir du manoir. Il me regarda étrangement et je décidai d'engager la conversation avec lui…
Il trouvait que j'étais plus attentif aux détails que Levon. Il le connaissait bien et avait connaissance de sa particularité physique. Il se qualifia lui-même de spécialiste en généralités et nous discutâmes autour d'un bon petit-déjeuner. A ces propos, ce ne pouvait être que quelqu'un de la famille qui voulait faire mystère de sa véritable identité. Je le trouvai étonnamment sympathique. Il me dit que Levon avait développé une paranoïa pour tout ce qui touchait à la Réalité. En fait, il serait venu dans le manoir pour parler à mon frère et c'est par hasard qu'il serait tombé sur moi. Il était à présent intrigué de l'origine de nos différences physiologiques. Il arriva bientôt aux véritables buts de notre rencontre. Il avait un marché à me proposer : un enseignement à me prodiguer. Je déclinai l'offre et compris que derrière ce marché, une menace planait. Il me laissa non sans m'avoir dit qu'une nouvelle offre me serait faite une autre fois.

     Tristan avait été intrigué par ce groom qui en savait tant sur lui et son frère. Le marché qui lui avait été proposé ne l'avait pas séduit et même plutôt inquiété. Il ne connaissait rien de cet individu et la menace, qu'il avait sous-entendue, semblait sérieuse. Elle concernait sa famille, autrement dit Levon. Tristan décida de contacter sa mère afin de lui révéler l'étrange visite dont il avait été l'objet. Lycia découvrit que quelqu'un de Réel portant l'Empreinte de la Marelle était intervenu, mais il n'était plus là. Levon était toujours endormi dans sa chambre et rien n'avait été fondamentalement changé. Elle fit un Atout spécial qu'elle confia à Tristan afin qu'il puisse déterminer la date en temps d'Ambre et le coefficient temporel de l'Ombre dans laquelle il se trouvait. Cela lui permettrait d'ajuster correctement le coefficient temporel lorsqu'il voudrait communiquer par Atout avec elle en Ambre. Elle laissa ensuite ses deux fils : elle avait convenu que Tristan devait se débrouiller à présent par lui-même pour s'exercer à manipuler l'Empreinte de la Marelle et que Levon ferait de toutes les façons comme bon lui semblerait.

     Tristan fit passer le temps en lisant un roman policier. Voyant que son frère ne s'était toujours pas levé, il alla frapper à sa porte. Ce dernier était toujours en manque de sommeil. Tristan lui laissa un mot et s'en alla s'exercer à l'utilisation de la Marelle.

     Laissant mon frère se reposer, je partis m'exercer au voyage dans les Ombres. Après plusieurs essais, je découvris que la seule voie pour modifier certains paramètres d'une Ombre sans quitter celle-ci pour autant, passait par l'évocation de l'empreinte de la Marelle. Fort de cette certitude, je regagnai le manoir où mon frère devait s'être à présent réveillé...

     A son retour, Tristan reçut un contact d'Atout. C'était le groom qui se tenait dans une crypte. Il ne dévoila pas à Tristan sa véritable identité et essaya une nouvelle fois de le convaincre de suivre ses enseignements, comme Levon qui avait accepté. Il fut énervé du nouveau refus de Tristan et lui demanda des noms de métamorphes qu'il connaissait. Encore une fois, Tristan refusa de lui en dire plus, ce qui le conduisit à rompre le contact.
Arrivé au manoir, Levon n'était plus là. Il avait visiblement eu le message de Tristan. Celui-ci mena son enquête et découvrit que la salle de bain avait été aménagée de telle sorte à ce qu'elle ressemble à une crypte. Dans la salle de bain, il découvrit des mèches de cheveux différentes de celles de son frère. Dans la chambre de ce dernier, il trouva un dessin -sans doute précurseur d'un Atout- d'une tondeuse. Un serviteur du manoir avait aperçu le groom durant l'absence de Tristan. Les éléments en présence lui indiquaient que le nouveau maître de Levon était peut-être venu ici. Soit il s'était tondu les cheveux ici avec l'aide de son frère, soit Levon avait décidé d'ajouter une touche personnelle à sa mascarade pour fourvoyer un peu plus son frère. Qui que ce soit, il était reparti précipitamment en brisant l'une des fenêtres du manoir. Du sang subsistait sur la vitre brisée et Tristan en collecta plusieurs gouttes entre deux lamelles de verre. Dehors, il n'y avait les traces que d'une seule personne : Levon était vraisemblablement reparti par Atout. Perplexe et inquiet pour son frère, Tristan contacta sa mère. Il lui dit que Levon était parti sans lui hors de l'Ombre avec la complicité du groom.

     Au moment où le contact avec maman se rompit, j'avais mis au point un plan pour retrouver Levon. J'avais été son premier sujet de test pour les Atouts et peut-être la Métamorphose : et bien, il allait être mon premier objectif de recherche avec la Marelle ! Je partirai d'une Ombre à flux temporel rapide et de là je me focaliserai sur le souvenir de mon frère.
Les Ombres changèrent pour devenir technologiques et exotiques, avec de plus en plus de créatures humanoïdes. Je passai par une Ombre où les oiseaux parlaient, puis dans une où la végétation était en lévitation à un mètre du sol. Sans crier gare, je me retrouvai avec de l'eau jusqu'à la taille, au bord d'un lac. Après quelques manipulations, je finis par trouver une embarcation artisanale et commençai à ramer, toujours à la recherche de Levon. Après avoir croisé un bateau de tourisme, je transformai mon bateau en zodiac filant à pleine vitesse à travers les Ombres jusqu'à ce que je m'échoue dans le sable. Mon but était atteint et j'approchai d'un camping au bord du lac.

     A la table d'un restaurant en extérieur, je vis Alwynn en train de discuter avec le groom, qui n'était donc autre que l'objectif de ma recherche, Levon. Je décidai de l'observer de loin. Il me vit et vint à ma rencontre.
Je le félicitai pour le tour qu'il m'avait joué et il reconnut que je ne me débrouillai pas mal non plus, étant donné que je l'avais retrouvé. Il n'était pas l'auteur de son changement de visage : c'était une personne ressemblante au groom qui lui avait fait démonstration de ses pouvoirs. Cette personne voulait nous avoir tous les deux comme disciples. Levon ne retrouverait son visage que s'il parvenait à me convaincre de devenir aussi le disciple du mystérieux groom. Pour ce dernier, nous devions être un excellent sujet d'étude. Il me parla aussi d'Alwynn. C'était en fait une ombre de celui-ci avec qui il discutait. Il avait essayé l'Atout d'Alwynn et avait découvert qu'il existait des milliers de personnes correspondantes à celui-ci. Il avait choisi celui le plus proche de l'environnement dans lequel il l'avait vu la dernière fois qu'il l'avait contacté. Cet Alwynn-là semblait posséder une partie des souvenirs de l'original, élément qui me parut des plus troublants.
Nous discutâmes ensuite des solutions qui se présentaient à son problème. Il comptait trouver un métamorphe pour qu'il lui rende sa véritable forme. Malheureusement, je n'en connaissais aucun. Il avait de plus envie de connaître un peu plus ce qu'il appelait "l'autre côté", c'est à dire les Cours du Chaos. Là-bas, il était en effet sûr d'y trouver des métamorphes. Cette solution nécessitait qu'il puisse y aller et les Atouts ne semblaient pas suffire. Nous parlâmes enfin de maman et il se rangea après réflexion à mon avis pour la consulter au sujet de nos problèmes récents avec ce mystérieux groom. Je pris donc l'Atout de celle-ci et la contactai…

     Via le contact d'atout initié par Tristan, Lycia rejoignit ses deux enfants au bord de la plage et écouta le récit des aventures de Levon. Elle pensait que le mystérieux professeur n'était autre que le créateur de la Marelle et ancêtre de la famille, Dworkin. Elle contacta ce dernier et révéla à ses enfants qu'il était bel et bien l'auteur de ce chantage. A l'issue d'une nouvelle discussion, Tristan et Levon acceptèrent d'être les disciples de Dworkin. Ainsi, Levon pourrait retrouver son vrai visage. Tant qu'à suivre des cours avec l'ancêtre, Levon émit l'idée qu'il lui faudrait traverser une Marelle. Mais il était réticent à prévenir leur père, Ixaani, de ce que voulait Dworkin et de sa méthode, de peur qu'il essaie de les empêcher de faire comme ils en avaient à présent décidé.

     Lorsque Levon me dit qu'il voulait bien suivre les cours de Dworkin, je me demandai quelles étaient ses réelles intentions. Alors que maman commençait à se diriger vers Alwynn, nous échangeâmes quelques mots à ce sujet. Levon voulait se venger de Dworkin une fois que nous serions devenus plus forts. Il m'exposa la stratégie potentielle de ce dernier qui, selon lui, trahissait sa bonne connaissance de nos relations familiales : une fois touché, mon frère m'avait prévenu et j'avais ensuite prévenu maman. Elle s'était chargée de nous exposer objectivement les possibilités et le choix de suivre ses enseignements en avait naturellement découlé. Je fus sceptique à cet exposé par trop paranoïaque, mais je reconnus qu'il y avait de quoi douter. Je n'éprouvais que plus de hâte à connaître ce Dworkin. Le monologue de mon frère trahissait reproche et jalousie à mon égard. Je souffris qu'il n'accepte pas que mon habitude de toujours prévenir maman ait créé un lien supplémentaire entre elle et moi. Partisan de la sincérité entre nous, je tentai de lui en parler et de clarifier ses propos mais il me conseilla d'oublier et de mettre cela sur le compte de son énervement dû à son état actuel. Ce que je fis…

     Lycia, Levon et Tristan rejoignirent le "clone" d'Alwynn assis à une table du bar de la plage. Il était venu vers Lycia croyant reconnaître sa mère lorsqu'elle avait rejoint les deux frères, mais Levon l'avait présentée comme sa sœur et elle ne l'avait pas démenti. Néanmoins, une ambiguïté avait persisté et Levon avait insisté pour ne pas partir sans lui dire au revoir. Après une brève discussion, Lycia fut convaincue que cette personne n'avait qu'une partie des souvenirs d'Alwynn. Ils lui firent leurs adieux et se mirent à l'écart. Lycia prit un Atout et ils disparurent, laissant le clone d'Alwynn dans le désarroi de cette éphémère rencontre avec celle qui aurait pu être sa mère…

     Une fois dans la salle du trône d'Ambre, Lycia et ses enfants décidèrent d'aller à la rencontre de Dworkin. Cette dernière, pensant qu'il était au Temple de la Licorne, s'y téléporta avec ses deux enfants. Il pleuvait et les deux lourds battants de l'édifice étaient fermés. Elle frappa puis ouvrit l'un d'eux. Une forêt de colonnes disposées sans ordre particulier s'offrit à leurs yeux. Comme il entraient, une odeur florale flotta jusqu'à leurs narines et des bruits de pas résonnèrent dans leur direction. Peu à peu certaines colonnes commencèrent à disparaître, laissant la place à un corridor. Au milieu de celui-ci, une femme à l'allure froide et renfermée s'avançait. La Grande Prêtresse de la Licorne, Sycbèle, les accueillit. Ils s'agenouillèrent devant elle. Elle remercia la Reine d'avoir amené ses enfants en ce lieu, afin qu'ils apprennent à mieux connaître la Licorne. Les étapes de cette visite seraient la bénédiction et la confession lors d'une simple cérémonie. Leur engagement au culte était libre. "La Licorne s'éveille et ouvre ses yeux sur ce monde !", avait-elle conclu avant de les guider au cœur du bâtiment. Derrière eux, la porte s'était refermée et les colonnes disparaissaient. Levon, lui, avait retrouvé son vrai visage. L'air était empli d'une substance qui augmentait leurs perceptions psychiques mutuelles. Lycia était tendue, Tristan intrigué et inquiet, et Levon, détendu et dubitatif.

     Le corridor de colonnes se transforma bientôt en un couloir dont le sol était recouvert d'un tapis rouge. Des portraits étaient suspendus aux murs. Les derniers qu'ils virent avant que le couloir ne se scinde représentaient Vialle, Caine, Sycbèle et Dworkin. Leur mère fut invitée à aller consulter des ouvrages de la Licorne ainsi que la Pythie si elle le désirait. Levon et Tristan furent conviés à aller se confesser dans l'autre direction. Leurs chemins se séparèrent ici.

     Une confession, voilà qui ne m'enthousiasmait guère. Je n'étais pas venu à Ambre pour me confesser de quoi que ce soit. Mais s'il fallait en passer par là pour rencontrer Dworkin, soit. Nous arrivâmes dans une salle avec quatre grandes arches et en son centre un isoloir de bois brut et brun. Je me portais volontaire pour entrer dans le confessionnal pendant que Levon patienterait à l'extérieur. Au centre des tentures blanches et bleues, il y avait un fauteuil de cuir rouge sur lequel je m'assis. Sur le côté, des croisillons en bois tressé masquaient un miroir.
La voix de la Grande Prêtresse me parvint semblant venir de partout et de nulle part à la fois. Elle me demanda de lui ouvrir mon cœur et de lui parler de la personne qui comptait le plus dans ma vie. Vaste question qui me plongea dans une mer d'interrogations. Sans en être conscient, j'avais déjà accepté la situation et j'étais soumis. Une voix me tira de mes réflexions. C'était Levon. Il parlait de moi. J'étais celui dont il avait décidé de parler comme s'il lui avait été demandé la même chose. Je l'entendis parler de moi, décrire ses sentiments pour moi. J'étais gêné et silencieux. Au fur et à mesure qu'il parlait, j'oubliais la situation. Lorsqu'il eut fini, la Grande Prêtresse me demanda si j'avais quelque chose à rajouter. A moins que ce ne soit à lui…J'étais troublé par tout ce qu'avait dit mon frère. Il avait été capable de parler de lui, de moi, avec une telle sincérité que j'en étais bouleversé. Une phrase sortit de ma bouche, presque machinalement : "mon frère a parlé avec justesse...". Il soupira.
La Grande Prêtresse conclut que nous devions apprendre à mieux nous connaître et qu'après ce temps de séparation nous avions besoin de nous retrouver. Elle nous laissa et Levon reprit sa place. Il me demanda si j'avais tout entendu. La réponse ne pouvait être que oui ou non. Je ne pus me résoudre à lui mentir, je me serais détesté pour cela. Évidemment, ma réponse affirmative le mit en colère et il s'en alla. Je tentais de le rattraper pour je ne sais quelle raison… Je ressentais sa blessure et la mienne. J'aurais voulu l'aider à la refermer mais je compris vite que j'étais mal placé pour cela. Seul le temps le pouvait à présent…

     Les chemins de Levon et Tristan se séparèrent après leur douloureuse épreuve. Tristan vit bientôt la forêt de colonnes s'ouvrir sur l'extérieur. Il s'adossa à la dernière, et observant la nature sauvage se perdit dans ses réflexions sur les minutes précédentes Lorsqu'il reprit conscience de son environnement, le Temple avait disparu et il était au milieu d'une forêt inconnue.

     Au fur et à mesure que le temps passait, je prenais conscience que tout ce que je venais de vivre avait été mis en scène et provoqué. L'ambiance mystérieuse, les odeurs étranges et la confession religieuse. Tout avait été mis en place pour nous rendre vulnérable, pour troubler nos esprits. Dans le confessionnal, j'avais oublié que c'était mon frère qui se trouvait de l'autre côté des tentures, et non un reflet de moi avec qui je partageais mes pensées. Oui, tout avait été mis en place pour que le moindre faux pas nous soit préjudiciable : ils avaient violé notre intimité, nos intimités. Pour tout cela, mon opinion sur ces religieux d'Ambre était des plus déplorables. Je me jurai intérieurement qu'ils ne m'y reprendraient plus. Cette mauvaise expérience me servirait d'avertissement.
Le souvenir des propos de mon frère commençait à se perdre dans le néant de ma mémoire : j'avais décidé de les oublier. Ce qu'il pensait de moi le regardait et réciproquement. A présent, moi, je ne ferai plus référence à ce moment d'intimité violée… et volé…

     Tristan marcha un peu dans la forêt où il était apparu. La vie animale emplissait celle-ci. Au loin, il vit un troupeau de buffles. La nature s'exprimait dans toute sa cruauté : une créature croisée entre un buffle et un grand félin était en train de dévorer un véritable buffle. Tristan chercha une hauteur pour essayer de se repérer. Alors qu'il approchait d'un arbre, il se trouva nez à nez avec une créature croisée entre un lézard et un félin. Elle chercha à plusieurs reprises à le dévorer. Il dut se défendre et une lutte pour sa survie s'engagea. Il réussit à lui planter sa rapière, qu'il portait toujours à la ceinture, dans l'œil gauche. Prenant de la distance avec la créature se tordant de douleur, il s'aperçut qu'il n'était qu'à deux kilomètres des Quartiers Royaux. Au même moment, il sentit un contact d'Atout. C'était sa mère qui le fit passer jusqu'à sa chambre des Quartiers Royaux.
Lycia avait retrouvé Levon presque congelé dans le Temple de la Licorne. Elle s'était ensuite inquiétée pour Tristan et avait décidé de le contacter. Ils allèrent visiter Levon qui fut content de les voir. Il ne semblait néanmoins toujours pas remis de ce qui s'était passé dans le Temple et son humeur se dégrada rapidement. Tristan et Lycia allèrent se restaurer dans un des salons de la cité.

     Une agitation soudaine envahit les couloirs du palais. Mordred avait été arrêté par la garde royale. Il avait tué une dizaine d'habitants de la cité d'Ambre parmi lesquels plusieurs membres du culte de la Licorne. Martin avait été grièvement blessé lorsqu'il avait prêté main forte à Ixaani et à Mo pour le maîtriser. Défiguré depuis la création du Logrus, Mordred avait tenté d'obtenir une guérison miraculeuse de la Licorne, mais devant la réponse négative, froide et distante de Martin, il s'était sauvagement emporté.

     Je profitai de mon après-midi pour visiter la cité des Quartiers Royaux. Je commençai par les quartiers marchands. La foule se pressait près des échoppes et les marchés y étaient bigarrés. Mon attention fut attirée par une maisonnette en haut d'une petite butte. Sa pancarte représentait une carte à l'intérieur d'un parchemin. Un personnage habillé d'une grande robe et d'un chapeau pointu semblait attendre d'éventuels clients. J'engageai la conversation. Ce mage copernicien était mandaté par le grand Dragon et la Reine Lycia d'Ambre. Son nom était Caïus. J'appris que ce lieu était un téléporteur et qu'il existait des échoppes identiques à celle-ci dans chaque cité du continent réel. Les mages coperniciens étaient capables d'utiliser des Atouts de lieux. Quelques cités comme Double Terre requéraient l'autorisation de la Reine ou d'autres comme Wenrebma procédaient à un contrôle à l'arrivée de tout nouveau visiteur. Remerciant mon interlocuteur, je revins au château et passai la fin de l'après-midi à m'entraîner au duel d'épée avec quelques gardes des Quartiers Royaux.