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- Malédiction
? -
Des
gardes arrivèrent au château, emmenant un nouveau prisonnier dans les
geôles : le prince Alwynn. L'escorte du prisonnier, blessé apparemment
lors de sa capture, expliqua à Tristan que celui-ci était apparu près
de la cité de Taliesin, au nord du continent réel. Quant à lui, il affirma
être un clone. Aussi, Tristan l'accompagna jusqu'aux geôles où Lycia ne
tarda pas à les rejoindre pour interroger le détenu. Un homme prétendant
être son meilleur ami lui aurait fait des révélations avant de l'emmener
à Ambre. Semblable à un prophète, il lui aurait parlé d'un certain Corwin
décidant de tout et du danger de l'appétit grandissant de la Licorne.
Bien qu'énigmatiques aux oreilles de Tristan, ces paroles éveillèrent
l'intérêt de la Reine. Par décision royale, il ne tarderait pas à être
libéré.
Le soir, Ixaani, Lycia, Levon et Tristan se retrouvèrent à l'entrée de
la Marelle de Terre pour une réunion de famille des plus animées…
Le
choix du lieu par papa de la réunion familiale me paraissait prémédité.
Il laissa néanmoins à maman le soin de nous en exposer les motifs Elle
parla tout d'abord du Temple de la Licorne et de ce qui s'y était passé.
J'appris avec étonnement que Levon avait vu Dworkin dans le Temple, sous
sa vraie forme. Levon pensait papa et maman complices de Dworkin et commença
à s'emporter sur les motifs de cette réunion. Papa lui demanda de traverser
la Marelle. Leurs échanges envenimés me donnèrent l'impression qu'ils
s'étaient déjà vus et expliqués auparavant. Une fois au centre, il pourrait
choisir entre fuir, aller auprès de Dworkin ou revenir s'expliquer auprès
de nous. La tension monta de plus en plus. Papa et Levon allèrent jusqu'à
se défier mutuellement. L'épreuve était difficile pour mon frère et je
souffrais intérieurement pour lui. Levon finit par tomber à genoux et
pleura après avoir projeté son arme aux pieds de papa. Puis il se leva
et se dirigea vers l'entrée de la Marelle de Terre.
C'est ce moment que choisirent Yarick et Holwin pour apparaître. Le premier
apparut devant Levon, l'arrêtant dans son mouvement et le second un peu
plus loin. Papa fondit sur Holwin qui ne tarda pas à s'écrouler. Yarick
commença à traverser la Marelle. Levon et moi allâmes vers le corps d'Holwin.
Papa l'avait assommé alors que maman était déjà en contact psychique avec
Yarick. Levon le fouilla pendant que je le tenais en joue de ma lame.
J'évoquais l'Empreinte de la Marelle dans mon esprit. Maman nous rejoignit
bientôt. Yarick voulait simplement traverser la Marelle de Terre. Après
une discussion sur l'attitude à adopter face à cette situation, papa alla
croiser sa route sur la Marelle de Terre pour lui donner une ultime mise
en garde. Il le somma en outre de venir s'expliquer auprès du couple royal
quand il aurait fini sa traversée.
A son retour, papa expliqua à Levon que ces événements lui avaient profité
mais qu'il ne devait pas oublier notre conversation. Avec maman et Levon,
nous accompagnâmes le prisonnier Holwin dans la geôle de son clone qui
avait déjà été secrètement ramené chez lui, plus tôt dans la journée.
Pendant que nous le gardions, Levon me révéla avoir déjà vu cet individu
en compagnie d'amis que je connaissais déjà grâce à maman. Holwin se réveilla
bientôt et fut des plus courtois bien qu'on le devinait assez tendu. Maman
fut prévenue par un des gardes que j'avais envoyé et elle nous retrouva,
ajoutant un peu plus de tension à la situation. Evidemment, Holwin ne
savait pas qu'ils avaient interrompu une réunion de famille importante
et prétendit qu'il voulait seulement aider son ami Yarick à traverser
la Marelle.
Tristan
et Levon continuèrent leur surveillance après le départ de Lycia. Levon
commença à distribuer les cartes d'un jeu qu'il avait fait mander, lorsqu'en
l'espace d'un clin d'œil Holwin disparut. Une soudaine impression d'obscure
menace et d'oppression les saisit. Tristan tenta d'appeler l'Empreinte
de la Marelle à son secours lorsqu'il subit un violent mal de crâne. Levon,
paniqué, commença à attaquer la porte de la cellule à coups d'épée. Il
manqua de peu de blesser son frère et lorsque la porte s'ouvrit, il s'effondra
en larmes devant Lycia et Ixaani. Tristan essayait de recouvrer son calme
dans un coin de la cellule et il confirma à sa mère qu'Holwin s'était
évaporé sans aide extérieure apparente. Lorsque Lycia chercha à utiliser
la Marelle dans la cellule, elle subit un violent choc psychique.
Nous
allâmes dans la chambre de maman. Elle commença à se concentrer, sûrement
à la recherche d'Holwin. Levon reprit bientôt ses esprits puis papa nous
laissa. Peu après, nous vîmes soudainement un filet de sang s'écouler
des oreilles de maman. Ensuite, elle se transforma en un étrange filament
bleuté tout en continuant de perdre du sang. Levon la saisit pendant que
j'essayai de lui parler. Je donnai l'ordre à un des gardes d'aller chercher
papa. Ne supportant plus les souffrances de maman, Levon et moi décidâmes
sans concertation préalable mais simultanément de l'assommer. A son arrivée,
papa nous confirma que nous avions choisi la meilleure solution. L'état
de maman était critique et nous décidâmes finalement d'aller discrètement
au Temple de la Licorne des Quartiers Royaux. Là-bas, le prêtre Malo nous
accueillit. Martin ne tarda pas à être prévenu et à nous rejoindre. Il
pria avec nous pour elle. Au matin, elle avait repris une apparence normale
et semblait aller mieux. Papa avait refusé les contacts d'Atouts les moins
urgents et n'attendait que le réveil de maman.
Elle ouvrit enfin les yeux et fut contente de nous trouver auprès d'elle.
Puis bien vite, les affaires royales nous rattrapèrent. Yarick attendait
d'avoir son entretien royal et allait avoir droit à la famille au complet...
Yarick
se montra assez détendu lors de son entretien. Le seul point d'insistance
fut son désir de voir Holwin. La situation des Cours du Chaos fut évoquée.
Il était à présent le seigneur d'une des Maisons des Cours. Leur structure
sociale n'était visiblement pas encore complètement décidée et Holwin
devait désigner leur nouveau Roi. D'un point de vue géographie, les Cours
étaient aussi entourées d'Ombres et les passages entre ces Ombres et celles
d'Ambre étaient impossibles. Outre l'Abysse, seul l'ancien château de
la cité d'Ambre permettrait de passer d'un bord à l'autre. Yarick était
revenu à titre personnel à Ambre pour traverser la Marelle de Terre. Il
faisait fi des allégeances et seuls ses propres intérêts semblaient compter
à ses yeux. Selon ses dires, le prince Galaak serait en danger aux Cours
du Chaos de par le fait qu'il était l'ancien petit ami de Qalypso qui
s'était sacrifiée pour reconstruire le Logrus.
Levon, Tristan et Ixaani s'absentèrent le temps d'aller chercher un repas.
A leur retour, Ixaani prévint Yarick qu'il serait le bienvenu, en qualité
d'invité officiel, sur le continent réel tant qu'il se conformerait aux
lois d'Ambre. S'il voulait s'établir définitivement à Ambre, Ixaani lui
confia qu'il verrait d'un bon œil le fait qu'il établisse une nouvelle
cité. Le cas d'Eterna fut ensuite abordé. Ixaani confirma que si Elyas
revenait, la cité repasserait sous son contrôle. Yarick insista sur le
fait qu'il faudrait qu'il soit prévenu si ce dernier apparaissait à nouveau.
J'avais
trouvé papa trop amical envers Yarick et je n'aimais pas cela. S'il se
sentait trop en confiance cet individu était de mon point de vue capable
du pire. Néanmoins, papa nous expliqua que son but était de l'amadouer.
De par les informations qu'il possédait, il pourrait nous apporter beaucoup
de connaissances sur les Cours du Chaos et sur ce qu'il était advenu d'Holwin.
Au sujet de ce dernier, tous les Atouts le représentant en notre possession
étaient à présent d'un blanc immaculé. Papa me permit de revenir aux geôles
inspecter ces dernières pendant que Levon dessinerait l'Atout d'Holwin,
analyserait ce qui se produisait et tenterait de le localiser.
Levon
et Tristan s'en allèrent avec un cachet royal pour qu'une solde de 40.000
cercles leur soit donnée à chaque saison. Tristan se rendit aux geôles.
Aucune trace magique ne subsistait de la disparition d'Holwin mais il
s'aperçut que les gardes avaient oublié le fait qu'il avait été prisonnier
ou qu'il soit un jour venu. Il pensa tout d'abord à une précaution psychique
qu'avaient prise ses parents puis après avoir vérifié auprès de son père,
il interrogea d'autres gardes. Tous avaient oublié. Il repensa à cette
sensation d'une Réalité inconcevable dont il avait été persuadé lors de
la disparition d'Holwin et comprit ce qui s'était produit. Il avait sans
doute altéré l'histoire même de sa détention, en manipulant les probabilités,
ou le cours temporel peut-être…Tristan se précipita dans les appartements
d'Ixaani pour le tenir au courant. Ce dernier accepta qu'il aille voir
sa mère en compagnie de son frère Levon pour faire le point de la situation.
Selon
maman, les pouvoirs de l'Abysse étaient tels qu'Holwin avait pu jusqu'à
faire disparaître son existence même. Levon lui confia qu'il ne pouvait
pas faire son Atout mais seulement celui d'un de ses clones car il y avait
une subtile différence entre eux et l'original. Maman commença alors à
réaliser avec précision celui d'Holwin. J'admirais la manière dont elle
s'y prenait. Lorsqu'elle eut fini, l'image disparut, laissant une surface
d'une blancheur immaculée. Cela confirma nos soupçons. Si cette Réalité
venait à se refléter dans l'univers alors le nombre de ses clones diminuerait.
Levon me confia l'Atout d'un clone d'Holwin mais je ne réussis pas à sentir
leur multiplicité. Lui seul pourrait surveiller le phénomène.
Pendant qu'il resta à discuter avec maman, j'allais voir papa. J'avais
besoin de quelques explications supplémentaires sur la scène politique
actuelle d'Ambre. Je me décidai à lui parler de mon désaccord sur son
attitude envers Yarick. Il me dit qu'à son idée, il y avait encore moyen
de le "faire rentrer dans le rang". Évidemment, s'il venait à bâtir une
cité, des espions -tels que les coperniciens- seraient placés dans celle-ci.
Papa me parla aussi du frère d'Holwin, Cyd. Il avait eu une vie difficile,
entre autres comme cobaye de plusieurs membres de la famille. Depuis,
il vivait en ermite sur le continent glacé.
Lorsque je parlai à papa de ma rencontre mouvementée avec la créature
mi-saurienne mi-féline près des Quartiers Royaux, il me dit qu'il s'agissait
des créatures abyssales -les enfants de Karadriel- qui s'étaient adaptées
au monde d'Ambre. Elles avaient dépassé les barrières animales, végétales,
minérales et même magiques. Cette idée me révulsa. Depuis, Julian aidait
les fabuleuses créatures d'Arden à lutter contre ce fléau qu'elles ne
voulaient pas voir s'étendre à leurs espèces. Un ami d'enfance d'Elyas
et habitant de la cité d'Ambre, Vaëlijg était en train d'étudier les nouvelles
races de créatures près de la Caldeira.
Ixaani
dévoila à son fils Tristan les plans de développement de la cité de Taliesin.
Cette dernière était construite sur une route d'Ombre, la Route Noire,
qu'avaient empruntée les Chaosiens pour quitter Ambre et reconstruire
le Logrus. Tristan repartit en ville visiter la boutique d'un maître artisan
pour commander la fabrication de son sceau personnel.
Lycia,
Ixaani et Tristan se retrouvèrent ensuite pour passer leur soirée dans
une auberge du port de Taliesin. Les gens furent aimables envers eux et
le repas se déroula agréablement. Taliesin fut au cœur de la discussion.
Trois armateurs étaient chargés d'en développer l'économie : l'un venait
de Wenrebma, l'autre de Double Terre et enfin le dernier, le capitaine
Daryl, venait des Ombres et aurait écumé auparavant le continent réel
à de nombreuses reprises. Ixaani fit aussi part de son souhait que Gerard
devienne Exarque de Taliesin. Lycia accepta de lui en parler. Le Roi et
la Reine convinrent aussi de la nécessité de réunir la famille afin d'évoquer
les dangers des contacts d'Atout. Levon et Tristan se chargeraient de
réunir les membres de la famille dès le lendemain. A la fin du repas,
Tristan laissa ses parents afin d'aller se promener dans la cité…
Avant
que je ne les quitte, maman demanda à papa s'il était possible que la
Marelle de Terre ait redonné un corps à l'esprit d'Elyas, que Yarick avait
visiblement libéré en la parcourant. Papa ne sut quoi répondre, mais intérieurement,
je me dis que c'était ce qui avait dû se passer. Je m'étais en effet souvenu
de cette curieuse impression de ne former plus qu'un avec la terre lorsque
j'avais traversé la Marelle de Terre. A ce moment-là, je me serais presque
senti fait d'une substance prête à être modelée par mon moi profond… Et
si, la terre de la Marelle était cela, une glaise ne demandant qu'à être
façonnée par l'esprit de celui qui la traverse ? J'étais convaincu que
malgré lui, Yarick avait redonné une forme à l'esprit de son fils qui
sommeillait et que la Marelle de Terre lui avait modelé un corps.
Alors que je réfléchissais à tout cela sur les quais du port de Taliesin,
quelqu'un que je pris au premier abord pour un marin me héla. Il était
habillé d'une lourde cape sur un manteau à col de fourrure. Un rapace
se tenait sur son épaule et sa carrure était des plus impressionnantes.
J'étais presque effrayé par ce personnage dont le rapace me renvoyait
le souvenir des cauchemars consécutifs à ma traversée de la Marelle de
Terre. Il s'agissait du prince Gerard. Je ne tardai pas à lui dévoiler
mon identité et nous discutâmes tout en nous promenant sur les quais.
Il me parla de la construction des cités sur le continent réel. Notre
Réalité de prince d'Ambre était capable d'influencer les tribus "primitives"
du continent réel pour les forger rapidement à notre image. Il avait remarqué
à quel point cette cité lui ressemblait plus à présent que Zéa. Il me
parla de lui comme quelqu'un de moins machiavélique et de plus bienveillant
que quiconque, de sa génération du moins, dans la famille. Joignant les
mots aux paroles, pour mon bien-être, il me conseilla de toujours me situer
en deçà des barrières que me fixeraient la nature, l'esprit et la Marelle.
Il s'enquérra ensuite de mes domaines d'intérêts. La question me laissa
pantois quelques secondes. Je lui parlai de mon goût pour les sports de
pilotage tels que la moto. Au fur et à mesure que nous discutions, je
me sentais en confiance avec lui et je finis par le tutoyer bien malgré
moi, ce qui eut pour effet de le surprendre. Je décidai alors de lui parler
d'un membre de la famille dont je n'avais entendu parler que par maman,
mon arrière grand-père, Oberon. Malheureusement, le sujet était mal choisi
et Gerard mit fin à notre entretien de manière fort intelligente, en me
demandant ce que je lui dirai s'il me demandait que je lui parle de mon
père. Une chose était sûre donc, pour lui le sujet était toujours d'actualité
!
De
retour au palais, je fus bientôt rejoint par un petit chat gris qui s'était
pris d'affection pour moi et qui me rejoignait toujours lors de mes nuits
au palais. Je décidai donc de l'adopter une bonne fois pour toutes et
de le baptiser. Il s'appellerait désormais Cendres. Après qu'il se soit
blotti contre moi, je ne tardai pas à trouver le sommeil. Cette nuit-là,
je cauchemardai : encore une fois, j'étais prisonnier malgré moi de cette
forêt obscure, mais je savais que c'était la faute d'un homme sans visage.
J'étais prisonnier de ma folie, de la folie que mon maudit demi-frère
avait introduit dans mon esprit. Bien sûr, dans mon cauchemar, il me proposait
son aide pour m'en sortir mais je refusai par folie et fierté. Je me réveillai
en sueur et le cœur oppressé. La disparition d'Holwin était la source
de mon malaise, il m'avait fait quelque chose, je le redoutai du plus
profond de moi. Il m'avait rendu fou, car j'étais en train de martyriser
Cendres. Bandant ma volonté, je parvins à éviter de le tuer, mais le lançai
loin de moi. Je me dirigeai vers la porte qui me mènerait jusqu'à la chambre
de maman. Je me sentais à nouveau enfant et vulnérable, j'avais besoin
de maman, de papa, de cette chaleur qui m'avait jusque-là protégé de tous
les maux. Tremblant et en sueur, à quelques pas de la porte, je parvins
à me raisonner et à retourner dans mon lit, en compagnie de Cendres. Je
ne trouvai pas le sommeil et commençai à trop penser. Il nous avait ensorcelé
! C'est le prétexte que je trouvai pour me rendre, une nouvelle fois,
Cendres dans mes bras, jusqu'à l'appartement royal. Papa m'ouvrit et me
trouva bouleversé à sa porte. Il me fit entrer. Je balbutiai quelques
mots devant maman. Levon ne tarda pas à nous rejoindre, lui aussi traumatisé.
Maman le prit dans ses bras. Elle nous assit de part et d'autre d'elle
sur le canapé, puis nous prit délicatement la main et nous écouta. Holwin
avait joué avec nos vies et nous étions victimes de sa manipulation magique,
car aux premières loges de celle-ci. Levon jura à voix haute qu'il paierait,
pendant que moi, je me le jurai intérieurement. Papa et maman nous autorisèrent
à dormir avec eux dans la chambre. Je m'enfonçai dans les couvertures
sur les paroles de papa : "dormez bien et ne vous inquiétez pas". La dernière
pensée qui m'effleura avant de m'endormir fut que notre vulnérabilité
venait aussi peut-être de la rançon à payer pour notre jeunesse évaporée
en quelques heures ambriennes dans les Ombres…
Au
petit matin, Levon et Tristan se répartirent les membres de la famille
à prévenir pour la réunion familiale qu'avaient ordonnée le Roi et la
Reine. Ensuite, ils regagnèrent leurs chambres afin de se préparer à affronter
leur nouvelle journée ambrienne…

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