- Holwin -

     Ayant finalement réussi à me recomposer un visage neutre, je sortis de la salle de bain. Mais je savais ne pas pouvoir tenir longtemps, aussi je choisis de m'allonger sur le canapé et de feindre l'assoupissement. Yarick me laissa tranquille.
Une éternité s'écoula avant que Brand ne revienne enfin. Il affichait un visage grave que je ne lui avais jamais vu, je me sentis pâlir à nouveau. Il demanda à Yarick de sortir, et je ne tenais déjà plus debout. Je m'assis sur le canapé pour l'écouter. Je savais déjà ce qu'il allait dire. Je sentais les larmes ruisseler sur mes joues, j'avais l'impression que mon cœur allait exploser. Un de mes vœux les plus chers s'était réalisé et j'avais failli le tuer. Mon enfant ne dormait plus tranquillement dans la douce chaleur de mon ventre mais dans une machine qui essayait de le sauver ! J'étais effondrée, incapable de quoi que ce soit. Je n'avais qu'une idée fixe : aller le voir, je voulais reprendre mon bébé. Je refusais qu'il grandisse à l'intérieur d'une machine, non ! Brand m'expliquait que je risquais de le tuer ainsi, mais qu'on pouvait le faire si j'y tenais. Non ! Je ne voulais pas le perdre, mon dieu, je l'aimais déjà, je ne pouvais pas…
Anesthésiée et incapable de penser, je suivis Brand. Je prenais peu à peu conscience que lui aussi semblait affecté. Il avait tout fait pour le sauver, il, c'était un garçon, Olwin. Nous passâmes dans une sorte d'ouverture dans l'Abysse que Brand avait pratiquée afin de l'isoler. Et je découvrais là une machine monstrueuse. Karadriel courait dans tous les sens. Loin à travers le brouillard de mon esprit, j'entendais la voix de Brand : il avait été obligé de demander l'aide de Karadriel mais ils étaient les deux seuls au courant, mon fils avait été beaucoup affecté par le passage dans l'Abysse et ils n'étaient pas sûrs de parvenir à le sauver. Pas sûr non plus, entre l'Abysse et une très forte homozygotie, de ce qui arriverait s'il vivait. Karadriel. Mon dieu, cet homme que j'avais si mal compris, c'était lui qui tenait la vie de mon fils entre ses mains ! Je l'implorai de le sauver, au bord de la folie. Mais il ne semblait pas comprendre ! Brand m'arracha à lui et me ramena finalement, plus morte que vive, jusqu'à la bulle de cristal où je m'effondrai sur le canapé après avoir vidé d'un trait le verre que Yarick n'avait pas bu.

     Ce dernier revint alors que je me resservais. Je devais paraître vraiment bouleversée pour que Yarick s'en inquiète. Je le rassurai d'un geste de la main, pas sûre encore de ma voix malgré la chaleur revigorante de l'alcool. Brand souhaitait remettre à plus tard la fin de la conversation sur notre avenir dans l'Abysse. Mais je ne voulais pas me trouver obligée de fournir une explication à Yarick, aussi j'insistai pour reprendre. Tout pour me changer les idées !
Je me levai, et arpentai la pièce sans trêve. Je n'avais plus le choix maintenant, je devais accepter les propositions de Brand. Mais je ne voulais pas voir détruite la Marelle de Corwin, je pourrai avoir besoin de sa protection. Brand consentit à ne l'affaiblir que plus tard. Yarick accepta également. Sur le moment, je songeais que Yarick devait effectivement monter sur le trône et moi l'épouser : Olwin serait bien plus en sécurité, tout serait beaucoup mieux. Mais je n'étais plus très sûre de mes facultés de raisonnement et Brand ne cessait de me dire que j'avais besoin de dormir.
Je refusais encore, trop de questions tournaient dans ma tête. Brand voulait que nous allions parler à Bleys, je ne voulais pas bouger d'ici. Mais si je restais là, je risquais de m'attirer de gros ennuis et je voulais à tout prix l'éviter. Je n'avais pas besoin de me faire des ennemis. Le mieux était pour l'instant de me faire oublier jusqu'à ce que tout s'arrange, ou à défaut, de continuer comme avant, personne ne devait savoir. Et surtout pas Oberon. Pour les autres, ça serait un moyen de pression supplémentaire, et qui sait ce qu'ils iraient inventer s'ils connaissaient le père.
Brand se montra d'ailleurs discret à ce sujet. L'homozygotie d'Olwin l'intriguait évidemment et il essaya une fois de me parler du père, mais je ne dis rien et il n'insista pas. Il détenait déjà entre ses mains la vie de mon enfant, je voulais éviter de lui donner je ne sais quelle idée tordue. Et je n'avais qu'une peur, qu'il ne me le rende jamais. Je savais devoir lui faire confiance, je n'avais pas le choix. Une seule chose me rassurait un peu, il avait vraiment changé depuis l'instant où il avait découvert tout ça. Je n'avais plus le choix. Si j'avais su contrôler ma réaction, j'aurais pu avoir une attitude différente et réussir à partir d'ici avec Olwin. Mais, je n'avais pas su. En fait, je n'y avais pas même pensé. Je ne pouvais pas, tout simplement. Ainsi, Brand connaissait l'attachement que j'éprouvais pour cet enfant et en était probablement ravi : il avait l'assurance que je ne ferais rien pour le contrarier. Au fond de moi, je craignais qu'il ait su dès le début.
Je demandai à Brand de faire en sorte que mon Atout ne soit plus brûlant. Je serai alors plus vulnérable, mais ma présence dans l'Abysse serait-elle moins évidente. Je l'interrogeais également sur le cours temporel dans l'Abysse : celui-ci n'était le même pour personne, et il fallait rester concentré en permanence pour qu'il se maintienne identique en deux endroits différents. J'espérais pouvoir y remédier par un sortilège. Enfin, je désirai un moyen de déplacement afin d'être libre d'aller voir Olwin. Mais il refusa ! Comment pouvait-il quand il me disait froidement que là-bas, il s'était déjà écoulé quatre jours. Quatre jours et on ne savait toujours pas s'il vivrait ! J'avais besoin de repos, mon esprit partait en tout sens, je n'étais plus capable de penser. Brand me laissa en m'invitant à dormir. Yarick était lui parti depuis longtemps. Je m'allongeai, fermai les yeux, mais ne voulais pas dormir. Pas tout de suite en tout cas, il y avait plus urgent. Je commençai donc à assembler les fils magiques d'un charme que j'espérai fonctionnel en ces lieux.

     Je travaillais sans vraiment m'en apercevoir, mon esprit obéissait à mon instinct et tissait les ponts magiques qui permettraient à Olwin de ressentir autre chose que le contact sans chaleur des machines. C'était presque comme un réflexe, et une fois l'élaboration du sortilège terminé, je tombai sans force. Mon organisme pouvait endurer bien des épreuves, mais mon esprit lui, n'était pas apte à subir tout ca ! Je sombrai enfin dans un oubli réparateur.

     Au réveil, l'avenir me paraissait déjà moins sombre : Olwin allait sûrement ressentir les effets positifs de mon charme. J'irai voir Karadriel pour lui témoigner ma reconnaissance et se peut pour nouer un début d'amitié. Finalement ma vie avait maintenant ce but que je cherchais si désespérément à trouver. Je sautai donc du lit avec la ferme intention de ne pas me laisser abattre par cette journée : si je n'étais pas capable de surmonter ces épreuves, comment pourrais-je prétendre protéger Olwin ? Alors que j'achevai de m'éveiller sous une douche fraîche, je songeais à Karadriel. J'avais pourtant fait des efforts, de tels gestes me seraient apparus comme inconcevables deux jours avant : je l'avais supplié ! Cela avait pourtant été si simple sur le moment. Trop peut-être car j'avais l'impression que rien de tout cela ne l'avait effleuré, que nous nous comprenions encore moins qu'avant. Cette idée me faisait peur pour Olwin et cette peur effaçait à ma grande surprise le sentiment d'humiliation que j'aurais certainement ressenti à une autre époque. J'étais presque fière de moi à cette pensée, j'aimais Olwin et aujourd'hui tout irait bien !
Je ne me sentais plus vraiment la même, quelque chose en moi avait changé, mais le temps seul pourrait dire quoi. Je passais donc une robe noire et sortais en quête d'un petit déjeuner.